Le mensonge est-il permis ?

Paris Notre-Dame du 17 juillet 2014

P. N.-D. – Vous avez participé à un débat sur le mensonge au Collège des Bernardins, le 17 juin [1]. Pourquoi la religion catholique considère-t-elle cet acte comme un péché ?

Le P.Matthieu Villemot, docteur en philosophie et professeur extraordinaire à la Faculté Notre-Dame du Collège des Bernardins.
© Céline Marcon

P. Matthieu Villemot – Parce que le mensonge est contraire au message de l’Évangile. Le Christ parle lui-même à plusieurs reprises de ce sujet, par exemple dans l’extrait suivant : « La vérité vous rendra libre » (Jn 8, 32). Lorsqu’une personne choisit de mentir, elle adopte une attitude de supériorité vis-à-vis de son interlocuteur ; elle ne croit pas en sa capacité à affronter la vérité. Il s’agit d’une atteinte à la dignité humaine et à la fraternité. Saint Augustin (354-430) a écrit sur ce thème deux traités intitulés Du mensonge et Contre le mensonge.

P. N.-D. - Concrètement, comment définissez- vous ce péché ?

P. M. V. – Il suppose avant tout une intention délibérée. Par exemple, dans une salle de théâtre, le public sait que les acteurs sur scène endossent le costume d’un personnage et qu’ils ne prétendent pas être ce qu’ils ne sont pas. La question du contexte est aussi importante. Certaines situations quotidiennes ne permettent pas de donner une réponse qui corresponde à la réalité. Ainsi, l’interrogation « comment allez-vous ? » est parfois une simple formule de politesse. En outre, il faut veiller à s’adapter à son interlocuteur. Je l’ai expérimenté à l’hôpital Saint-Louis (10e), où j’ai été aumônier pendant cinq ans. Si un médecin donnait à un enfant atteint d’une leucémie son résultat sanguin, il le confronterait à des données qu’il n’est pas en mesure d’analyser. Il est plus juste de lui faire comprendre la gravité de sa maladie grâce à des gestes et des paroles ajustées à son âge. Selon moi, notre société tombe souvent dans un « fanatisme de la vérité », en particulier sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire que certaines personnes propagent des informations vraies sans aucun souci du contexte, de l’interlocuteur et de ses capacités. Cela a été le cas par exemple quand, en violation de la convention de Genève, des journaux ont publié des photos de prisonniers torturés en Irak.

P. N.-D. – N’existe-t-il pas des cas où la dissimulation de la vérité est nécessaire, par exemple pour servir le bien commun ou pour protéger des vies ?

P. M. V. – Les évêques allemands ont beaucoup travaillé sur cette problématique dans les années 1990. Dans la seconde partie de leur Catéchisme, ils évoquent des contextes particuliers. Comme celui, pendant la seconde guerre mondiale, où un prisonnier refusait de dire à la Gestapo où se cachaient des juifs. Dans ce cas-là, il ne s’agit pas d’un mensonge car l’interrogateur ne cherchait pas à grandir dans la vérité mais à tuer. Certaines situations extrêmes comme le terrorisme justifient peut-être qu’un État dissimule à ses citoyens une opération. Cependant, il est préférable d’instaurer des garde-fous. Par exemple, dans l’affaire dite « des écoutes de l’Élysée », sous la présidence de François Mitterrand, la volonté louable de lutter contre le terrorisme a mené à des dérives. Dans ce genre de cas, il faudrait peut-être qu’une commission parlementaire définisse des limites de l’action et rende cette dissimulation provisoire : dès que possible, on rétablira la vérité. • Propos recueillis par Céline Marcon

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