Prostitution : de l’art pour se reconstituer

Paris Notre-Dame du 27 mai 2021

Elles ont, pour la plupart, été victimes de réseaux de prostitution. Accueillies dans un atelier d’expression artistique chaque semaine, dans le cadre de l’association Aux Captifs, la libération, ces femmes trouvent, à travers le processus créatif, un moteur de reconstruction.

Atelier d’expression artistique à l’association Aux Captifs, la libération.
© Laurence Faure

Jess [1] rit de bon cœur, dépitée par le rendu de sa poule blanche, qu’elle reproduit tant bien que mal. Mais au sein de l’atelier d’expression artistique proposé ce jeudi après-midi dans une antenne de l’association Aux Captifs, la libération, Jess est en confiance. Dans la salle d’activités aménagée au sous-sol de la chapelle Ste-Rita (9e), aucun jugement. Membres de l’association ou accueillies issues de réseaux de prostitution, pas de distinction. « Ici, on ne parle pas d’élèves et de maître », prévient Laure Callies-Vuillier, art-thérapeute qui anime cet atelier depuis 2017. Car si la professionnelle guide les participantes, « ce n’est pas un cours de dessin », précise-t-elle. Pas de questions, pas de commentaire esthétique. Elle encourage surtout leur autonomie créatrice. Charlotte, bénévole, prend une feuille blanche cartonnée et s’assoit à côté de Frida*. Objectif de cette séance : fabriquer un pantin sous forme d’animal dessiné en plusieurs parties, réuni à l’aide d’attaches parisiennes. Après l’effervescence des premières minutes, à choisir son modèle, à prendre conseil, un silence concentré s’installe. Crayon en main, chacune rejoint son monde intérieur. On entend, parfois, une exclamation, un soupir : « C’est difficile ! » Le P. Pierre-Oliviers Picard, vicaire à la Ste-Trinité (9e), qui anime des propositions spirituelles organisées avec les Captifs, passe une tête, salue les invitées. Place au coloriage : peinture, feutre, pastel sec, tout est possible. Frida promène son pinceau imbibé de bleu sur le corps du chat qu’elle a dessiné. « C’est la meilleure couleur, glisse-t-elle en anglais. Comme le ciel. »
À l’atelier, Laure reçoit « majoritairement des femmes issues de réseaux de traite des êtres humains ». Rencontrées au cours des « tournées-rue » des travailleurs sociaux et des bénévoles des Captifs, dans le quartier ou au bois de Vincennes, elles sont souvent originaires du Nigéria. Chacune est libre de venir ou non à cet atelier de l’antenne, qui organise d’autres activités de dynamisation ou de suivi social. « Je peux avoir trois, cinq, dix participantes...observe l’art-thérapeute. Je n’en accueille jamais le même nombre. » Ce jour-là, les trois jeunes femmes présentes ont décidé de rester après le cours de français qui avait lieu juste avant. Le coloriage va prendre fin. Frida en est sûre : elle n’aime pas le rose. Ce sera du bleu. « C’est un travail intérieur qui se joue dans l’ombre, analyse Laure. Un processus d’affirmation de soi : oser dire ce que l’on aime, savoir refuser. Le processus de création est un processus de transformation… à partir du moment où l’on crée, on se met en marche ! Au fur et à mesure, ces femmes se redécouvrent elles-mêmes. Elles ne sont plus objets de leur vie mais sujets. » L’art-thérapeute ajoute : « Elles redécouvrent aussi la confiance en l’autre, qui a été détruite au cœur de parcours douloureux. Où qu’elles en soient, premières venues, ou déjà en réinsertion, on leur donne ce sas de liberté qui leur permet d’oser prendre leur vie en main. De persévérer aussi dans l’accomplissement d’une tâche, d’en voir le résultat, d’en être fières. » Fières, elles le sont, en cette fin de séance. Aussitôt leurs pantins terminés, elles les prennent en photo, les commentent en riant. Si ces femmes restent pudiques dans la discussion, leurs sourires parlent pour elles. « Oui, murmure l’une d’elles. C’est bien ici. »

Laurence Faure @LauFaur

[1Le prénom a été modifié.

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