P. Roger Tardy : « Noël, c’est nous mettre à l’écoute de l’aujourd’hui de Dieu »

Paris Notre-Dame du 23 décembre 2021

À l’approche de Noël, le P. Roger Tardy, supérieur de la Maison St-Augustin (12e) dépoussière nos rituels et interroge notre agitation festive pour contempler les vrais cadeaux de la Nativité.

P. Roger Tardy, supérieur de la Maison St-Augustin (12e).
© D.R.

Paris Notre-Dame – On assiste à un discours politique étonnant : « Il faut sauver Noël », alors que c’est précisément Noël qui nous sauve. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

P. Roger Tardy – Lorsque j’étais curé de St-Denys du St-Sacrement (3e), deux personnes sont passées devant mon église et ont regardé les calicots installés pour Noël, sur lesquels on lisait : « Jésus sauve. » Et elles ont dit : « Oh là là, ça fait vraiment secte. » Les gens n’éprouvent plus le besoin d’être sauvés… Ils veulent être protégés, reconnus, mais plus sauvés. Et paradoxalement, nous sommes dans une époque où de plus en plus de personnes se présentent comme des sauveurs, que ce soient face à la peur du « grand remplacement » ou pour nous sortir du désastre écologique ; ces discours maintiennent une partie de la population dans une forme de fascination du charisme, qui banalise le banal. La crèche vient nous montrer exactement le contraire. Le mystère de Noël, c’est précisément la venue d’un petit enfant, sur les genoux de sa mère qui lui change ses langes comme n’importe quelle mère, comme si ce qui était banal devenait riche de Dieu. Que nous dit le Seigneur qui ne parle pas encore et qui pourtant est le Verbe ? Quel est le fruit du mystère de l’Incarnation, révélé à Noël ? Je dirais l’humilité. Noël, c’est l’antidote qui nous sauve du regard idolâtre ou de la fascination malsaine pour ce qui nous effraie : le terrorisme, les discours apocalyptiques, les images violentes… C’est aussi l’attention simple aux signes des temps : le Seigneur continue à nous parler, non pas par des grandes catastrophes, mais par une densification du banal qui permet de s’arracher à la tentation du bling-bling, qui est une tentation fort répandue, y compris dans l’Église.

P. N.-D. – Qu’appelez-vous « bling-bling » ?

R. T. – C’est à la fois une forme de mondanité et d’autocélébration. Mais peut-être est-il plus juste de parler de vernis. Le vernis, c’est quelque chose qui fige nos coeurs (j’ai mis la crèche dans mon salon, donc je suis quitte), nos cerveaux (à force de rationaliser le mystère de Dieu, on le réduit), notre mémoire (on ne se souvient que du moche ou du mal, et on ne voit plus le bien) et notre sphère sociale (nous sélectionnons nos indignations... qui révèlent surtout nos opacités intimes). Noël, c’est nous mettre à l’écoute de l’aujourd’hui de Dieu, ce n’est pas d’abord défendre des traditions ou des valeurs civilisationnelles. Quand on parle de valeurs, on passe à côté du mystère de Noël : c’est comme un plat congelé pas encore dégelé. Il y a une manière de consacrer les traditions qui les neutralisent.

P. N.-D. – Comment faire pour enlever ce vernis ?

R. T. – Le vernis est parfois tellement épais qu’il faut des chocs, ou des électrochocs, pour faire apparaître le réel. Il faut parfois passer par des éléments déclencheurs, se sentir tiraillé par une difficulté intérieure, une épreuve spirituelle, telle qu’on la traverse en ce moment dans le diocèse de Paris. Ces épreuves sont comme des coups de boutoir qui sont là pour faire craquer quelque chose en nous : le vernis, notre sommeil, notre indifférence qui sont, en fait, un manque ou un refus d’Espérance. Or c’est précisément ça le véritable cadeau de Noël : c’est l’éruption de l’éternité dans le temps. C’est avoir été exaucé, mais pas de la manière qu’on attendait, et comblé au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer. C’est cette Espérance, qui est à la fois source de liberté et énergie révolutionnaire, qui nous permet de lever la tête pour regarder le Ciel.

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

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