« Toute paternité tire son nom de la paternité de Dieu »
Paris Notre-Dame du 3 juin 2021
Philosophe, écrivain et père de neuf enfants, Fabrice Hadjadj vient de publier un nouvel essai sur la figure de saint Joseph, dans le cadre de l’Année saint Joseph qui s’est ouverte le 8 décembre dernier. L’occasion de revenir sur les enjeux de la paternité aujourd’hui.
Paris Notre-Dame – Pourquoi avoir écrit ce livre sur saint Joseph ?
Fabrice Hadjadj – La première réalité, c’est ma paternité. Je suis père de neuf enfants. J’avais déjà écrit sur la famille et j’éprouvais le désir, en vieillissant, d’écrire à nouveau et plus spécifiquement sur le fait d’être père. La proposition de mon éditeur, qui s’inscrivait dans le cadre de cette Année saint Joseph, a été le déclencheur. Au même moment, s’est intensifié mon rapport aux Écritures. Si je devais écrire sur la paternité, ce devait être en lien avec la Bible. Thomas d’Aquin dit que le nom de père s’applique en propre à Dieu. Ce n’est pas une métaphore. Toute paternité tire son nom de la paternité de Dieu. Cela signifie qu’elle est un mystère, tout autant qu’un fait biologique. Et parmi les figures bibliques qui la révèlent, celle de Joseph est majeure et pour ainsi dire ultime.
P. N.-D. – Comment écrire sur saint Joseph alors que nous avons peu de traces de lui dans la Bible ?
F. H. – De fait, il n’y a que deux Évangiles qui parlent de Joseph, quelques lignes dans les tout premiers chapitres de Matthieu et Luc. Mais il ne faut jamais oublier qu’un verset de l’Évangile est toujours en lien avec la Bible juive, la Torah, et avec la royauté d’Israël. Ce qui signifie que l’histoire de Joseph doit être entendue à partir de la caisse de résonance de l’Ancien Testament, notamment avec les figures d’Abraham, le père des nations, et du Joseph de la Genèse. C’est ce que j’essaie de faire dans ce livre. Ce qui est dit en quelques lignes sur lui est suffisant pour ouvrir des chemins sur lesquels nous pouvons marcher toute une vie.
P. N.-D. – En quoi cette figure peut aussi entrer en résonance avec la vie des pères aujourd’hui ?
F. H. – La paternité n’est pas un phénomène de mode, lié à une époque, elle nous touche toujours. Aujourd’hui spécialement, la figure du père est en crise, ce qui n’est pas forcément un mal. Les vieilles évidences sont tombées comme des masques. Face à la décomposition de la famille, il nous faut repenser ce qu’est le père. C’est ce qui fait le caractère formidable de notre époque : pour la première fois peut-être, nous pouvons penser dans sa nudité même ce qu’est la paternité, par-delà les constructions sociales, à travers la Révélation. Le père idéal n’existe pas. Un père humain, c’est toujours une figure concrète et défaillante. Si on prend la Bible, la paternité est toujours dramatique, regardez Abraham, qui refuse longtemps d’être époux, puis accepte de sacrifier son fils pour Dieu. Ce qui se révèle de la paternité à partir du Père éternel vient nous éclairer sur ce mystère et nous arracher à toutes visions idéalisées. S’il est vrai que la paternité de Joseph ne ressemble à rien de ce que l’on connaît, ce que j’essaie de montrer dans ce livre, à la suite de la tradition de l’Église, c’est que cette exception confirme la règle et qu’à travers elle, nous remontons à la source. Enfin, dernier point à mentionner, c’est que Joseph se retrouve père humain d’un enfant qui est Dieu. C’est donc un père toujours excédé, dépassé par le don d’une vie plus grande que lui. C’est le père le plus livré à l’incompréhensible à travers son fils – ce qui rappelle la figure du père actuel. C’est à travers les défaillances de notre paternité que se joue l’essentiel. Parce que nous aussi avons besoin de miséricorde, nous sommes les premiers témoins du Père des miséricordes, ce qui est l’enjeu fondamental de la paternité.
Propos recueillis par Priscilia de Selve @Sarran39
Être père avec saint Joseph, Fabrice Hadjadj, éditions Magnificat, 14,50 €.
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