Homélie de Mgr Laurent Ulrich – Messe solennelle d’action de grâces et pour le repos de l’âme du pape François

Vendredi 25 avril 2025 – Notre-Dame de Paris (4e)

 Voir l’album-photos de la Messe solennelle pour le repos de l’âme du pape François et en action de grâce pour son pontificat.

 Actes 4, 1-12 ; Psaume 117 ; Jean 21, 1-14.

C’est à Pâques, puisque pour nous le Saint Jour de Pâques se prolonge toute une semaine, que le Saint-Père a remis sa vie à Dieu. Mais, cette année, par une grâce spéciale du calendrier, les chrétiens du monde entier et de toutes les confessions fêtaient ensemble la résurrection du Christ et nous l’avons fait dans cette cathédrale même. Je salue les représentants de quelques-unes, ici parmi nous, et n’oublie pas de saluer les responsables religieux des autres cultes.

Pourrait-on trouver plus beau jour pour achever sa course terrestre dans l’attente de la résurrection ? Cela fut accordé à ce disciple du Seigneur dont la vie et le ministère résonnaient du nom du Christ proclamé par l’apôtre Pierre devant les chefs du peuple, les anciens et les scribes réunis au Temple de Jérusalem. « Sachez-le, professe Pierre, c’est par le nom de Jésus, le Nazaréen, lui que vous avez crucifié mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts, que cet homme, cet infirme - dont il était question peu avant - se trouve là, devant vous et bien portant. »

Personne ne peut ignorer aujourd’hui que ce Serviteur des Serviteurs de Dieu - le pape François affectionnait particulièrement ce titre qui est attaché au ministère du successeur de Pierre – personne ne peut ignorer que ce Serviteur des Serviteurs de Dieu ait eu le cœur ouvert à toutes les détresses de l’humanité par ce même Christ qu’il plaçait au centre de sa vie. Nous n’oublions pas ses gestes prophétiques : la première sortie du Vatican vers l’île de Lampedusa pour aller à la rencontre des migrants, accueillis là dans l’attente des jours meilleurs, et par des pauvres qui avaient déjà eux-mêmes assez de mal à subvenir à leurs besoins.

Personne n’oublie le temps de recueillement au pied de Notre-Dame de la Garde à Marseille, il y a dix-huit mois, devant le mémorial de tous les péris en mer, parmi lesquels tant de victimes de l’indifférence mondiale, devant les drames de la misère, dans beaucoup de pays économiquement ou politiquement fragiles.

Nous nous souvenons encore de sa visite à Bangui, dans un pays en guerre civile, accompagné de l’archevêque et de l’imam, qui prêchaient ensemble la réconciliation au mépris de beaucoup de dangers pour eux.

Et comment ne pas rappeler l’un de ses derniers gestes, celui par lequel il a ouvert, en décembre dernier, une porte de l’année jubilaire après celle de la basilique Saint-Pierre, dans une des prisons de Rome ? Il indiquait par-là que le temps de la prison ne pouvait pas se comprendre seulement par la nécessité de protéger la société des auteurs de violence, mais devait avoir aussi pour objectif de promouvoir la dignité de tous, agressés et agresseurs, en travaillant au respect mutuel et à une véritable fraternité. Il disait ainsi sa foi et son espérance que le Christ était capable en tous temps, et particulièrement dans le nôtre, d’appeler les uns et les autres à la vraie liberté qui est don de Dieu.

En parlant du pape François dont les mots et les gestes nous ont si souvent pris à contrepied, c’est avec le cœur que nous pouvons l’évoquer et le comprendre. S’il a montré sa grande attention à tous les pauvres et les exclus, il n’en a pas moins voulu servir les malades, les enfants, les personnes âgées, les familles en difficulté, les gens seuls, les victimes des drogues ou les victimes d’abus sexuels mais aussi d’abus de pouvoir et d’abus spirituels. Il ne s’agit pas seulement de se laisser émouvoir : encore faut-il prendre le temps de la réflexion construite, guidée par une anthropologie, une conception de la vérité sur l’homme qui ne se résout à aucun échec définitif mais ne cesse d’espérer que des chemins peuvent s’ouvrir pour imaginer la paix, pour développer la participation du plus grand nombre d’hommes et de femmes aux responsabilités et à la recherche des solutions, pour accompagner la vie des familles notamment les plus blessées par des divisions et des incompréhensions.

Le premier synode qu’il a convoqué a eu pour sujet l’amour dans la famille, qu’il avait discerné comme un sujet majeur et préoccupant dans toutes les sociétés de notre monde. À ce sujet comme sur les autres qu’il a évoqués dans son riche enseignement, il ne cessait d’apporter des pierres à un édifice en construction. N’a-t-il pas commencé, dès 2013, dans son exhortation apostolique La joie de l’Évangile, en nous donnant des repères pour l’action ? Il a écrit de nombreuses fois que « le temps est plus important que l’espace ». Cela engageait à créer des conditions de mise en route de processus, petitement d’abord, par des actions qui modifient des contextes et produisent des nouveautés fécondes : n’enfermer personne dans ses insuccès, ne pas croire à la fatalité mais se laisser renouveler et regarder l’avenir avec confiance. Il a mis cela en œuvre de nombreuses fois dans son ministère : pour la famille, au sujet de la protection de la « maison commune » comme il aimait à dire, pour le projet de fraternité. Il a alors décliné de vraies règles pour l’action humaine.

Au sujet de la famille, c’étaient trois verbes d’action qu’il promouvait, devant les difficultés familiales : accompagner, discerner et intégrer les fragilités. Au sujet de la fraternité des relations humaines, c’étaient quatre verbes : accueillir, accompagner, protéger et intégrer les plus rejetés de nos sociétés. Au sujet de la protection de la maison commune, c’étaient s’écouter mutuellement et dialoguer, rechercher toujours le bien le plus commun à tous et favoriser la justice entre les générations.

La grande année jubilaire de 2015-2016, tout entière entraînée par la considération de la Miséricorde de Dieu, a marqué les esprits et a réintroduit dans la sensibilité chrétienne ce mot lui-même. Ce mot a été traduit, par ceux qui craignaient qu’il ne soit plus de saison et ne rencontre pas beaucoup d’écho, par le mot de bienveillance qui pouvait en atténuer l’origine divine et christique mais qui mettait sur le chemin d’une vraie source du renouvellement des esprits et des cœurs. Et il a ouvert la voie, par un synode où il a invité de nombreuses personnes laïques avec voix actives dans l’assemblée, à un renouvellement de l’Église catholique et même de sa gouvernance : le travail certes n’est pas achevé, mais il a été mis en route aussi par quelques décisions significatives comme de confier tout récemment la responsabilité d’un dicastère à une femme, une religieuse. À ce moment-là, il avait choisi de nous donner coup sur coup deux enseignements majeurs ; D’abord, c’est par le cœur du Christ que vient la transformation la plus certaine de notre société. Le Christ nous a aimés, Il nous a aimés, tel est le titre de sa dernière encyclique, reprenant la révélation du Christ à une religieuse française au XVIIe siècle : « Voici ce cœur qui a tant aimé le monde. » Et ce cœur, ce n’est pas le lieu humain d’une simple émotion, mais c’est celui des décisions les plus fermes, les plus assurées de chacun en faveur de ses frères et de ses sœurs. Et ensuite il nous a mis dans l’atmosphère d’une nouvelle année jubilaire : 2025 ans après l’incarnation de Dieu sur terre en la personne de son Fils Jésus, il nous a demandé d’être, et d’apprendre à être au cours de cette année, pèlerins de l’espérance.

Le pape François, nous le disons volontiers, a ouvert bien des voies nouvelles dans la vie de notre monde : par les émotions qu’il a su nous communiquer, par la réflexion exigeante qu’il a promue de façon très accessible et par la foi dont il a rendu compte incessamment, en prenant son énergie à Celui dont il suivait les chemins. Alors que la pêche que ses disciples ont entreprise au cours de la nuit n’a pas été fructueuse, Jésus leur ordonne de recommencer là où ils ne sont pas encore allés, et voici qu’ils rapportent ce qu’ils désespéraient de trouver.

François, comme il le disait si simplement, n’a jamais désespéré de notre monde, il l’a toujours appelé à garder confiance et espérance. Dans son dernier message de Pâques, lu pour lui devant la foule de la place Saint-Pierre, il y a quelques jours seulement, le pape, avant de décliner toutes les situations douloureuses du monde qui habitaient sa prière – Israël et la Palestine, le Liban et la Syrie, le Yémen, l’Ukraine, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, les Balkans occidentaux, le Congo, le Soudan, le Soudan du Sud, le Sahel, la Corne de l’Afrique et la région des Grands Lacs - avant donc cette longue énumération, le pape dit toute l’espérance qu’il met dans cette proclamation de la résurrection du Christ. « Oui, dit-il, la résurrection de Jésus est le fondement de l’espérance ; à partir de cet évènement espérer n’est plus une illusion ; non, grâce au Christ ressuscité, l’espérance ne déçoit pas, et ce n’est pas une espérance évasive mais engageante, elle n’est pas aliénante mais responsabilisante. »

François a désiré être inhumé dans la basilique de Sainte-Marie-Majeure au cœur d’un quartier qui ressemble à ceux qu’il a toujours aimé fréquenter, populaire et mixte. Et il écrit dans son bref testament : « je souhaite que mon dernier voyage terrestre se termine dans ce très ancien sanctuaire marial où j’avais l’habitude de me rendre pour prier au début et à la fin de chaque voyage apostolique afin de confier mes intentions à la Vierge immaculée, la Mère de notre Seigneur, et la remercier pour son attention sereine et maternelle. »

Nous demandons à cette mère très aimante de confier à Dieu notre Père la vie et le ministère de notre frère le pape François.

Mgr Laurent Ulrich,
archevêque de Paris

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