Homélie de Mgr Michel Aupetit - Messe à St Germain-l’Auxerrois
Saint-Germain l’Auxerrois (1er) - Dimanche 8 septembre 2019
– 23e dimanche temps ordinaire - Année C
- Sg 9,13-18 ; Ps 89,3-6.12-14.17 ; Phm 9b-10.12-17 ; Lc 14,25-33
Tout s’achète, sauf l’amour
« Tout s’achète et tout se vend ». Vous connaissez bien sûr cet adage qui fait de la corruption une valeur universelle. Seul l’argent a de la valeur car il peut tout se permettre.
Cependant il y a une chose qui ne peut ni s’acheter ni se vendre, c’est l’amour. Vous connaissez certainement cette phrase du Cantique des Cantiques : « Si un homme donnait toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, il ne recueillerait que du mépris » (Ct 8, 7).
Bien sûr, on peut se payer une escort girl, on peut se payer la sexualité, mais on ne peut pas se payer l’amour. L’argent nous permet de posséder. Mais personne ne peut acheter le cœur de quelqu’un. Il pourra l’asservir, l’exploiter, l’instrumentaliser, mais il ne pourra pas se payer son cœur.
C’est pourquoi dans les exemples que donne le Christ, il s’agit de savoir si on a les moyens de son entreprise : construire une maison, en l’occurrence une tour ou partir combattre avec un certain nombre de soldats. Aujourd’hui, avant un achat conséquent, on sait qu’il est raisonnable de regarder si on a les moyens d’acheter cette voiture ou de descendre dans cet hôtel.
Ce que nous demande le Christ, c’est de savoir si nous avons les moyens de le suivre. Il ne s’agit pas du tout de savoir si nous avons assez d’argent, mais si nous avons assez d’amour. Cet amour que l’on ne peut pas acheter à prix d’argent, Jésus nous donne le moyen de l’acquérir.
Car Dieu est un expert, le véritable expert. Dieu est amour, il est le seul à pouvoir nous indiquer le chemin de l’amour puisqu’il est lui-même sa source.
Et quels sont ses moyens ? Renoncer à tout ce que l’on possède, non seulement ses biens, mais aussi nos relations humaines les plus importantes. Nous avons entendu : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple » (Lc 25,33). « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple » (Lc 25,26).
Il ne s’agit donc pas d’avoir de l’argent pour posséder. Il s’agit, au contraire, de se déposséder. Trouver l’amour est à ce prix. S’abandonner totalement entre les mains de Dieu en suivant le Christ est la seule manière de découvrir le véritable amour puisque Jésus nous dit : « Il n’y a pas le plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).
Se laisser déposséder, c’est permettre à l’amour d’entrer dans notre cœur. C’est, tout simplement, trouver le Royaume des cieux. Au Ciel, en effet, on ne possède rien, on reçoit tout de Dieu.
C’est alors que le Christ peut donner en abondance : « Celui qui a tout donné recevra au centuple ». C’est ainsi aussi que les sentiments naturels envers son père, sa mère, sa femme et ses enfants ne sont plus motivés par un amour de réciprocité duquel on attend protection, affection, récompense, gratifications, mais c’est un amour bien plus grand que l’on éprouve envers eux puisqu’il est habité par la plus parfaite gratuité, comme l’amour même de Dieu.
C’est ainsi que l’on peut comprendre cette lettre de saint Paul à Philémon que nous venons de lire. Il ne lui donne pas l’ordre de libérer son esclave, il lui demande d’entrer dans cette dynamique de l’amour pour en faire un frère. C’est ainsi que le christianisme a bouleversé la civilisation humaine. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons, nous chrétiens, transformer le monde.
La tiédeur ne produit qu’une soupe indigeste, un champagne sans bulles, quand la ferveur de l’amour illumine le monde.
+ Michel Aupetit, archevêque de Paris.