Homélie de Mgr Michel Aupetit - Messe de rentrée des responsables politiques à Sainte-Clotilde
Sainte-Clotilde (7e) - Mardi 19 octobre 2021
– 29e semaine du temps Ordinaire — Année B
- Rm 5, 12.15b.17-19.20b-21 ; Ps 39 (40), 7-8a, 8b-9, 10, 17 ; Lc 12, 35-38
« Restez en tenue de service. » L’injonction est claire. Il ne s’agit pas d’être en tenue de soirée, en tenue de gala, en habit de lumière. Même les habits liturgiques, autrefois particulièrement clinquants pour signifier la majesté divine, sont devenus plus modestes pour que le célébrant ne se prenne pas pour Dieu. Mais d’ailleurs s’il se prenait pour Dieu ce serait une bonne chose. Car enfin Dieu a révélé sa majesté dans celui qui a dit « Je suis venu pour servir non pour être servi », dans celui qui pour dernier acte pastoral a lavé les pieds de ses disciples. Puissions-nous nous rappeler toujours que notre place est aux pieds des autres en particulier des plus vulnérables et des plus fragiles.
Nous le savons bien et pourtant le fait de le savoir ne suffit pas, comme nous le voyons avec la révélation terrible des abus commis dans l’Église. La connaissance intellectuelle, le savoir de la raison, nous permettent de connaître le chemin à suivre mais n’engagent pas la volonté de l’acte qui implique toute la personne. Quel est ce mystère, cette blessure de l’âme humaine qui fait que l’intelligence ne parvienne pas totalement à mobiliser efficacement ma volonté vers le bien ? Cette impuissance à passer de la conviction à l’action nous surprend et nous blesse. Connaître l’Évangile ne suffit pas pour le vivre. Des hommes ont pu donner leur vie pour suivre le Christ, sans doute de manière sincère, et pourtant ils ont pu commettre le mal, le mal absolu.
Le service du bien commun qui est notre vocation profonde peut-être dévoyé s’il ne s’entretient pas par une pratique habituelle du bien et un approfondissement quotidien de notre rapport à Dieu, source de tout bien, ce bien que nous appelons la prière. L’intimité avec le Christ qui nous montre la force inouïe de la dépossession nous fait entrer dans une dynamique positive. À la règle d’or qui traverse toutes les civilisations : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’ils vous fassent », le Christ répond : « Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent ». Cette dépossession de soi s’appelle l’amour dans le christianisme ainsi que l’affirme Jésus : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Jésus se donne, se livre par amour : « Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne ». Il s’agit à son exemple de se déposséder du pouvoir, de l’emprise sur autrui, pour entrer dans le don que Jésus fait de lui-même et pour nous y associer pleinement. Il faut passer de l’asservissement au service, de l’appropriation à la dépossession, de l’ambition à la mission. C’est une transformation obligatoire pour tout chrétien. Toute charge dans l’Église est un service. Le Pape se nomme : le serviteur des serviteurs. Ainsi la hiérarchie dans l’Église ne peut pas être la conquête d’un pouvoir mais l’accomplissement de ce service.
Puis-je me risquer à une parabole ou plutôt à une image ? Le satellite et le mycélium. Le satellite est au-dessus de nos têtes. Sa précision de plus en plus pointue permet de tout savoir et Google vous rappelle tous les mois par où vous êtes passés, combien de temps vous y êtes restés, l’adresse exacte où vous êtes descendus. Nous sommes entrés dans l’ère du « Capitalisme de surveillance » selon Shoshana Zuboff qui, au lieu de servir les humains, se sert des « Surplus comportementaux » pour nous faire entrer involontairement dans un cycle commercial. Le surplomb est toujours dangereux et l’exploitation est son risque majeur. En revanche le mycélium, enfoui dans la terre et presque invisible relie les végétaux et permet de faire circuler l’information qui entretient la vie.
Nous devons être proche du mycélium et loin du satellite. Le surplomb n’est pas la bonne posture. C’est pourquoi il faut bien comprendre la charge d’un archevêque Episcopos veut dire « veiller sur » et non « surveiller ».
+Michel Aupetit, archevêque de Paris