Homélie de Mgr Michel Aupetit - Messe à St Germain l’Auxerrois - 3e Dimanche de Carême
Saint-Germain l’Auxerrois (1er) - Dimanche 7 mars 2021
– 3e dimanche de Carême – Année B
– à huis-clos
- Ex 20,1-17 ; Ps 18B, 8-11 ; 1 Co 1, 22-25 ; Jn 2,13-25
Nous savons et nous croyons profondément que Jésus est doux et humble de cœur. Et pourtant, quand on entend cet évangile des vendeurs chassés du Temple nous sommes très surpris et peut-être un peu choqués. Celui qui a dit : « Heureux les artisans de paix » (Mt 5, 9), qui a repris Pierre au moment de son arrestation : « Rentre ton épée, celui qui prend l’épée périra par l’épée » (Mt 26, 52), est-il possible qu’il soit capable de violence ?
Reprenons l’histoire. Nous sommes en avril de l’an 30. Sur le parvis des gentils, c’est-à-dire de ceux qui ne sont pas Juifs, des païens se sont installés des marchands d’animaux et des changeurs de monnaie. Il faut vous imaginez, si vous le connaissez, le souk de Jérusalem. C’est un vrai bazar. Là où l’on devrait être saisi par le recueillement et la ferveur, voici que bêlent les agneaux. On entend le beuglement des bœufs, les changeurs qui crient en s’interpellant. Essayez de prier dans ce tohu-bohu.
Jésus est-il violent ? La violence s’exerce à l’égard d’autrui. Mais Jésus ne frappe personne. Avec des cordelettes il fait sortir les animaux comme mon oncle agriculteur faisait sortir ses vaches du champ sans violence. Il renverse les tables où l’argent s’accumule, mais il ne frappe personne.
Ce qu’il fait est un acte prophétique annoncé par le prophète Zacharie le jour de la venue du messie : « Il n’y aura plus de marchands dans la maison du Seigneur, en ce jour-là » (Za 12, 11). Le prophète Malachie lui aussi avait annoncé : « Soudain entrera dans son sanctuaire le Seigneur que vous cherchez. Car il est comme le feu du fondeur est comme la lessive des blanchisseurs » (Ma 3, 2).
Pourtant, les animaux sur le parvis étaient indispensables pour le culte du temple. Ils étaient destinés aux sacrifices. Les changeurs étaient là pour remettre des pièces juives qui seules étaient utilisables dans le Temple en échange des monnaies grecques et romaines apportées par les pèlerins. Tout est donc normal.
Ce qu’il faut savoir pour comprendre le geste de Jésus, c’est que ce marché des bêtes pour le sacrifice et les tables des changeurs se trouvaient sur le Mont des Oliviers. Ce sont les grands prêtres Caïphe et Hanne qui décidèrent de le transférer au Temple sur le parvis des gentils. Il s’agissait d’une opération financière extrêmement profitable aux grands prêtres. C’est pourquoi Jésus a réagi de cette manière pour dénoncer cette corruption. Nous pouvons aussi nous réjouir de ce qu’il fait place nette sur le parvis des païens pour signifier qu’ils seront accueillis dans le Temple du Dieu. Mais, ainsi, il se fait de sérieux ennemis de ces grands prêtres qui le jugeront plus tard.
Ce geste prophétique est extraordinaire. Il n’est pas seulement la réalisation de ce qui était annoncé par les prophètes. Quand Jésus dit : « Détruisez ce Temple et en trois jours je le relèverai », ceux qui se moquent de Jésus en disant : « Il a fallu 46 ans pour bâtir ce sanctuaire et toi en trois jours tu le relèverais ? » En effet, la construction du Temple a débuté en l’an 16 avant Jésus-Christ. Or nous sommes en l’an 30. Cela fait juste 46 ans. C’est plus qu’une coïncidence. Notons au passage qu’il est vraisemblable que cet évangile ait été écrit avant l’an 70 sinon l’évangéliste aurait évoqué la destruction du Temple par Titus et ses armées romaines.
L’évangéliste qui nous précise que Jésus parle de son Corps. Autrement dit, le vrai Temple de Dieu où on peut le rencontrer et l’adorer, c’est désormais le Corps de Jésus. Ce Corps, nous le recevons à la messe et nous l’adorons dans la prière. C’est bien le Ressuscité qui sera le nouveau Temple qui remplace l’ancien. C’est pourquoi Jean ajoute : « Quand il ressuscita d’entre les morts ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela et ils crurent à l’Écriture et à la Parole qu’il avait dite » (Jn 2, 22).
Et nous ? Sommes-nous fidèles à ce Corps qui se laisse manger pour que nous devenions nous aussi des temples de la présence de Dieu ?
+Michel Aupetit, archevêque de Paris