Juifs et chrétiens : Mieux comprendre l’héritage commun

Paris Notre-Dame du 3 octobre 2024

Roch Hachana, Yom Kippour, Soukkot, Simhat Torah… Ce mois d’octobre est un mois de fête pour les juifs. À cette occasion, le F. Jean-Miguel Garrigues, prêtre dominicain, lauréat cette année du prix du cardinal Lustiger de l’Académie française pour son enquête de théologie historique L’Impossible substitution. Juifs et chrétiens (Ier - IIIe siècles), revient sur l’histoire des relations entre juifs et chrétiens.

Le F. Jean-Miguel Garrigues est prêtre dominicain.
© D.R.

Paris Notre-Dame – Pouvez-vous expliquer les ressorts de la doctrine de substitution ?

F. Jean-Miguel Garrigues – La théologie de la substitution est une doctrine élaborée par les Pères de l’Église entre les Ier et IIIe siècles. Ce sont eux qui ont jeté les bases de la théologie chrétienne des siècles ultérieurs. On pourrait la résumer ainsi : Dieu a envoyé son messie à Israël et Israël ne l’a pas reçu. Ses autorités religieuses l’ont livré aux Romains pour être mis à mort. En conséquence, Dieu a rejeté le peuple juif pour mettre à la place un peuple nouveau. Ainsi, « nouveau » a assez vite dérivé dans l’idée de remplacement. La seconde guerre juive, en 135, a rendu possible l’enracinement de cette doctrine, lorsque les juifs entrent pour la deuxième fois en rébellion contre l’occupation romaine. L’empereur Hadrien décide d’effacer le souvenir d’Israël, y compris son nom. C’est à cette période qu’est apparu le nom de Palestine, venant de Philistie. Les chrétiens de l’Empire romain y ont vu une réprobation par Dieu, celui-ci signifiant par des signes éloquents qu’Il avait rejeté Israël. L’Église engrangeait alors beaucoup de conversions du côté des non juifs – aussi appelés gentils, gens des nations. Pour les auteurs chrétiens de cette époque, le nouvel Israël est l’Église des Nations. Ils oublient la matrice judéo-chrétienne et la doctrine de saint Paul qui voit l’Église comme la communion en Christ des juifs et des gentils. Les chrétiens vont penser pendant de longs siècles qu’ils n’ont pas besoin des juifs. Pourtant, Jésus et les apôtres n’ont pas voulu fonder une autre religion que celle d’Israël. Ils étaient juifs et suivaient la loi de Moïse. Le mot même de christianisme n’apparaît que dans les lettres d’Ignace d’Antioche, en 110 après Jésus.

P. N.-D. – Quelles sont les conséquences de cette doctrine ?

J.-M. G. – La substitution s’est avérée impossible. Si nous allons jusqu’au bout de cette logique, comme le voulait le gnostique Marcion, il faut enlever l’Ancien Testament de la Bible ainsi que les innombrables références à ce dernier dans le Nouveau Testament. La doctrine de la substitution – qui n’a pourtant jamais été enseignée par le magistère – est peut-être celle qui est la plus universelle. Elle est présente dans toutes les branches du christianisme. La substitution empêche les chrétiens de reconnaître la valeur du peuple juif alors qu’une part importante du peuple d’Israël avait accueilli le messie, après la Pentecôte. S’il y a eu une Église des gentils, elle s’est greffée sur une souche première d’Église juive. Pendant longtemps, le judaïsme rabbinique et synagogal a été perçu, d’un point de vue religieux, comme une aberration. Cette incompréhension a généré des persécutions au cours des siècles de chrétienté. La Shoah a poussé les protestants puis les catholiques à reconsidérer la doctrine dans un esprit de repentance. Elle a été rectifiée par le Concile Vatican II avec le décret Nostra ætate de 1965.

P. N.-D. – Le 10 octobre prochain, vous recevrez le prix du cardinal Lustiger de l’Académie française. Vous qui l’avez connu, ce doit être une grande joie…

J.-M. G. – Cela me touche énormément de recevoir ce prix. Nous nous sommes connus dans les années 1990. Je l’ai même accompagné lors de son voyage en Terre Sainte où il avait été invité à un colloque sur la Shoah. Nous partagions la même passion et il s’étonnait toujours qu’un non juif puisse comprendre si profondément le mystère d’Israël. En ce mois des festivités juives, je souhaite que ce livre apporte quelque chose de positif dans l’amitié et le dialogue judéo-chrétien afin de mieux comprendre notre héritage commun et ce qui nous rapproche.

Propos recueillis par Marie-Charlotte Noulens

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