« Le temps du désir et de l’impatience »

Paris Notre-Dame du 11 avril 2024

À moins d’un an de la réouverture, Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur-archiprêtre de la cathédrale Notre-Dame, se confie sur les prochaines étapes – matérielles, logistiques et spirituelles – qui jalonnent ce temps de préparation jusqu’au 8 décembre 2024. Entretien.

Par Charlotte Reynaud

Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur de Notre-Dame de Paris
© SNDL / Pierre Vincent

Paris Notre-Dame – Comment vivez-vous ce temps de Pâques qui coïncide avec le cinquième anniversaire de l’incendie de la cathédrale mais qui nous projette surtout vers la réouverture, prévue en décembre prochain ?

Mgr Olivier Ribadeau Dumas – Nous sommes vraiment dans la dernière ligne droite ! Concrètement, cela signifie que nous ne sommes plus simplement dans une phase de travaux – bien que cela occupe encore la moitié de mon temps ! –, mais déjà lancés dans la mise en œuvre. Nous réfléchissons, dès à présent, sur la pastorale à développer pour et autour de la cathédrale, avec cette question en tête : comment accueillir ces millions de fidèles et ces millions de touristes qui voudront entrer dans Notre-Dame ? Pour répondre à ce défi, il nous faut à la fois considérer les enjeux matériels et logistiques qui s’imposent à nous (comment, par exemple, garantir une certaine sécurité et fluidité, alors que le parvis sera occupé et que les travaux se poursuivront ?) mais aussi prendre en compte les moyens que nous sommes prêts à déployer pour que les visiteurs puissent, non seulement, voir et contempler, mais aussi comprendre ce qui se vit.

P. N.-D. – C’est-à-dire ?

O. R. D. – La cathédrale doit vraiment être, par elle-même et par tout ce qui s’y vit, un lieu missionnaire. Cela repose à la fois sur l’accueil, la liturgie et la dimension caritative. La dimension d’accueil est extrêmement importante, surtout dans la perspective d’accueillir tous les publics, y compris ceux de différentes cultures ; il faut leur permettre de comprendre ce qui se joue là, ce qui ne se réduit pas à traduire des dépliants, mais à les faire entrer dans la signification du bâtiment, des œuvres d’art, ou encore de la liturgie, qu’ils verront lors des différents offices célébrés chaque jour dans la cathédrale.

P. N.-D. – Quel axe souhaitez-vous donner à la liturgie, une fois Notre-Dame rendue au culte ?

O. R. D. – La liturgie est le cœur de ce qui se vit à Notre-Dame, et même sa raison d’être, cet édifice ayant été érigé pour la gloire de Dieu. Cette dimension de prière, je veux la développer et la déployer en priorisant les célébrations en public et en multipliant les offices. Concrètement, cela signifie que les messes seront célébrées au maître-autel, c’est-à-dire au milieu des visiteurs. Par ailleurs, nous proposerons plusieurs offices chaque jour, à l’ouverture et à la fermeture des portes, mais aussi la prière des vêpres, l’adoration du Saint-Sacrement et la récitation du chapelet… Il nous faut absolument redécouvrir la dimension mariale de Notre-Dame et donner une grande place à la prière, et plus largement à la piété populaire.

P. N.-D. – Cette attention à la piété populaire transparaît aussi dans le choix du reliquaire de la Couronne d’épines…

O. R. D. – Le choix de l’archevêque, Mgr Ulrich, s’est porté sur un reliquaire dessiné par Sylvain Dubuisson, qui a pour caractéristiques d’être beaucoup plus monumental que le précédent, à la hauteur de ce qu’est la Couronne et de ce qu’est la cathédrale, mais aussi d’inciter à la prière, même lorsque la Couronne ne sera pas visible. Je souhaite vraiment qu’on puisse passer devant ce reliquaire, et manifester un acte de piété, le toucher, déposer une bougie... On pourra aussi se recueillir à proximité, dans une chapelle de dévotion, pour prendre un temps de prière en silence, déposer toutes ses épreuves et ses souffrances au pied du grand crucifix, offert par Napoléon III lors du baptême du prince impérial ; des chapelains seront présents pour rencontrer ceux qui le souhaitent et les accompagner dans cette démarche spirituelle. La présence de la Couronne d’épines et des reliques de la Passion dans la chapelle axiale est non seulement un moment important dans le parcours de déambulation de la cathédrale, mais aussi un élément essentiel pour encourager la piété populaire et la dévotion. La Couronne d’épines sera d’ailleurs proposée à la vénération des fidèles tous les vendredis pendant la période de réouverture, c’est-à-dire jusqu’au 8 juin 2025, puis un vendredi par mois (ainsi que tous les vendredis de Carême).

P. N.-D. – Pourquoi est-ce si important à vos yeux ?

O. R. D. – Toute l’histoire du christianisme – toute la force de notre religion – c’est qu’elle ne se transmet pas uniquement dans des concepts, mais aussi dans un amour vécu, donné et reçu. Et cette expérience d’amour se nourrit aussi de signes, de choses concrètes et tangibles, de gestes qui disent quelque chose de l’Incarnation. Les actes de piété populaire participent à cela, à cette manifestation et expression de la foi. La Couronne d’épines nous ramène à cet amour magnifique de Dieu pour nous, au Christ qui regarde du même amour Marie-Madeleine la pécheresse et Marie sa mère… Face à cette Couronne, nous sommes tous égaux, car nous sommes tous regardés de la même façon et aimés d’un même amour.

P. N.-D. – Vous évoquiez également une dimension caritative ?

O. R. D. – La cathédrale doit incarner cette vocation à accueillir et servir les plus pauvres. Aujourd’hui, nous réfléchissons, en concertation avec l’équipe diocésaine Place et parole des pauvres et les associations solidaires, à la manière dont les personnes les plus précaires, les plus fragiles, peuvent être intégrées dans la liturgie et quelles activités spirituelles pourront s’organiser à la cathédrale, comme la possibilité de commenter l’Évangile ou de proposer un partage de la parole de Dieu...

P. N.-D. – La réouverture est dans moins de huit mois. Où en êtes-vous d’un point de vue matériel ?

O. R. D. – Chaque jour compte ! Cette réouverture est un défi, mais nous devons être convaincus qu’elle est possible. De notre côté, nous sommes prêts et dans les temps, que ce soit pour la livraison des chaises, du mobilier liturgique, de la confection des habits liturgiques ou encore dans les nombreux autres projets qui incombent au diocèse (son, éclairage, mobiliers d’accueil, confessionnaux, etc.) [voir p. 6]… Mais nous sommes, en quelque sorte, « en bout de chaîne » et, pour le moment, la cathédrale est inaccessible. C’est donc le temps de l’attente, celle de pouvoir y entrer, et aussi de l’impatience et du désir, car nous avons d’abord commencé par réfléchir, puis faire, et maintenant, nous voudrions « vivre » et retrouver « notre chez nous », notre cathédrale.

P. N.-D. – Quelle lecture spirituelle faites-vous de cette réouverture ?

O. R. D. – C’est une très belle perspective. La réouverture d’une cathédrale dans notre société fracturée, divisée, est un magnifique signe d’espérance. NotreDame revit, et c’est comme le cœur de notre ville qui se met de nouveau à battre ; un cœur qui bat non seulement pour nous, mais aussi pour le monde entier qui se réjouit et qui témoigne de cette joie. Cette réouverture est comme un réveil spirituel, pour Paris, pour la France, pour le monde, et s’inscrit dans un héritage, celui des bâtisseurs de cathédrale et des époques qui ont suivi. Je veux redire ma profonde humilité devant ceux qui ont construit Notre-Dame (et sans les moyens d’aujourd’hui !), devant ceux qui l’ont transmise, ceux qui l’ont sauvée du feu, et ceux qui la reconstruisent aujourd’hui, et dont je vois et mesure l’enthousiasme et le dévouement. Cette humilité ne peut que nous habiter lors de la réouverture car ce n’est pas notre œuvre ; ce que nous avons à vivre, c’est l’œuvre de Dieu.

Incendie de Notre-Dame de Paris

Médias