Notre-Dame : Des fleurs pour faire battre son chœur

Paris Notre-Dame du 18 janvier 2024

Vendredi 12 janvier s’est tenue la traditionnelle pose du bouquet au point culminant de la charpente du chœur de Notre-Dame de Paris, symbole de la fin de cette partie du chantier (celle de la nef est en voie d’achèvement) et d’une étape importante de la renaissance de la cathédrale. Reportage.

Les charpentiers immortalisent le moment de la pose du traditionnel bouquet de fleurs qui célèbre la fin de la reconstruction de la charpente du choeur de Notre-Dame, le 12 janvier 2024. Au premier plan, au centre, sont présents Philippe Jost, président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, et Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur archiprêtre de Notre-Dame.
© David Bordes © Rebâtir Notre-Dame de Paris

Les taches de couleur fluo – orange, jaune ou vert – se détachent tout particulièrement de la charpente, sous le ciel gris, plombé – et glacial – de ce vendredi 12 janvier. C’est que les compagnons sont montés nombreux dans la charpente du chœur ; depuis la base-vie [1] du chantier, on les distingue à leur gilet coloré et casque blanc, à leurs éclats de voix, aussi, qui ponctuent le « tap-tap » métronomique des coups de maillet. Après près de dix-huit mois de labeur, la pose de la charpente du chœur de Notre-Dame s’achève, dans l’émotion générale. Pour marquer l’événement, Philippe Jost, président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, et Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur archiprêtre de Notre-Dame, sont montés avec les compagnons au niveau de la charpente de l’abside, pour y planter les deux dernières chevilles ; un geste symbolique immédiatement suivi de la traditionnelle pose du bouquet, par le plus jeune charpentier de l’équipe, Léonard, apprenti âgé de 19 ans. Et il y a une certaine forme de légèreté poétique à voir s’envoler, dans le ciel de Paris, un grand bouquet de mimosa accroché à un poteau – peut-être la pièce la moins complexe à lever de mémoire de grutiers du chantier – afin d’être fixé sur le poinçon, au point culminant de la charpente.
Pourquoi un bouquet ? La tradition remonte à l’époque médiévale lorsque les charpentiers arpentaient eux-mêmes la forêt pour choisir « telle branche ou tel arbre », selon les mots de Jean-Claude Tuffreau, charpentier et dessinateur projeteur en charpente des Ateliers Perrault, chargés de la reconstruction de la charpente du chœur : « Le charpentier gardait toujours une belle cime d’un des arbres, afin de la poser, symboliquement, sur la partie la plus haute de la charpente, une fois terminée. » La tradition a perduré jusqu’à nos jours, en remplaçant la cime par un bouquet, signe de protection mais aussi passage de relais entre charpentiers et couvreurs : « Le bouquet restera en place tant que les couvreurs n’auront pas fini leur travail, poursuit le compagnon. Ce sont eux qui l’enlèveront, lorsque la toiture sera totalement achevée. » Comme la soixantaine d’équarisseurs et de charpentiers ayant contribué à la reconstruction de la charpente du chœur – de l’équarrissage des grumes, en atelier, jusqu’à la pose au-dessus des voûtes du chœur, sans oublier la taille manuelle des pièces et leur montage à blanc (voir PND n° 1962) –, il tenait à être présent en ce jour « très émouvant » et symbolique d’un chantier hors norme, tant par son gigantisme – la charpente du chœur, en chêne massif, s’étend sur 32 mètres de longueur, près de 14 mètres de largeur et 10 mètres de hauteur – que par l’excellence des savoir-faire mobilisés.

Bouquet final

L’émotion devient audible lorsque le bouquet est enfin fixé ; des cris de joie fusent de toutes parts et se répondent, des hauteurs au sol et vice versa ; Ramazan, le grutier qui a déposé le bouquet en haut de l’abside, klaxonne trois fois pour participer à ce concert euphorique tandis que les compagnons grimpent dans la charpente pour immortaliser ce moment, sous les applaudissements de leurs collègues restés sur la base-vie. Pour Léonard, ce moment était « phénoménal », en point d’orgue d’un chantier « monstrueux et gigantesque » à la fois. Compagnon d’un jour, Mgr Olivier Ribadeau Dumas a eu « le privilège » de planter l’avant-dernière cheville dans les poutres, la dernière ayant été plantée par Philippe Jost et Philippe Villeneuve : « C’est émouvant de participer, même symboliquement, à la reconstruction de cette charpente, confie le recteur. Je suis impressionné par la beauté de ce cet ouvrage, la beauté du travail exécuté mais aussi de la joie des compagnons ; il y a, dans leurs sourires, quelque chose de magnifique qui nous prépare à la réouverture de la cathédrale, qui sera aussi la célébration du beau car le beau nous dit Dieu. Cette charpente n’est pas simplement une prouesse technique, c’est aussi un ouvrage qui a une âme, qui nous dit quelque chose de ce qui est célébré à l’intérieur de cette cathédrale… Et je crois que ces charpentiers ne s’y sont pas trompés, leur travail a un sens particulier ; ils concourent au fait que cette cathédrale puisse à nouveau célébrer le culte et la gloire de Dieu. » Et de conclure, en rappelant combien il avait été difficile de voir cette charpente médiévale brûler : « Cette reconstruction est le signe que nous sommes dans une période de résurrection, qui nous permet de croire à l’impossible. » Croire à l’impossible, c’est bien le credo qui a animé ces charpentiers pendant plus d’un an et qui, ce vendredi 12 janvier, s’apprêtent à quitter le chantier avec la fierté du devoir accompli ; un adieu qui méritait bien… un bouquet final.

Charlotte Reynaud

Voir aussi

[1Constructions modulaires éphémères accueillant bureaux, salles de réunion et équipements collectifs – vestiaires, cantine, etc. – nécessaires à la bonne marche du chantier.

Incendie de Notre-Dame de Paris

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