Notre-Dame, signe de Dieu et signe des temps

Paris Notre-Dame du 14 décembre 2023

Alors que le décompte vers la réouverture est officiellement lancé jusqu’au 8 décembre 2024, Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, s’est rendu dans sa cathédrale. Reportage.

Le chœur est désormais totalement libéré de ses échafaudages, laissant apparaître le détail de ses voûtes et l’harmonie du double déambulatoire.
© Charlotte Reynaud

En cet après-midi du 6 décembre, une volute d’encens s’échappe dans les airs, déversant sur la base vie du chantier de Notre-Dame son parfum entêtant de mystère. Sous les applaudissements, la croix, surmontant une corbeille de roses, est bénite par le P. Guillaume Normand, vice-recteur de Notre-Dame, avant d’être hissée dans les airs pour couronner la flèche, tutoyant les cieux à quatre-vingt-seize mètres de hauteur, et offrant, aux passants du moment et aux ouvriers de chaque jour, la joie d’une promesse, celle d’une réouverture qui approche. Au cœur de la cathédrale, c’est un autre message de joie qui est porté par Mgr Laurent Ulrich qui a tenu à enregistrer, pour la dernière fois, casqué et en combinaison de chantier, son traditionnel message de Noël dans « notre maison commune, notre cathédrale ». L’occasion, aussi, d’une visite de chantier, comme il en fait régulièrement, en compagnie de Philippe Jost, président de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale depuis la mort, cet été, du général Jean-Louis Georgelin.

Les deux hommes naviguent dans la nef débarrassée d’une partie de ses échafaudages, laissant transparaître, malgré le jour tombant, la clarté blonde des pierres nettoyées et la ciselure raffinée des chapiteaux, tandis qu’au sol des tranchées – pour les fouilles archéologiques ou l’installation des réseaux techniques – trompent les perspectives et imposent aux visiteurs un dédale d’embûches. La pesanteur et la grâce ; un jeu du dévoilé et du caché aussi, particulièrement frappant lorsqu’on parvient dans le chœur, tout récemment libéré de ses échafaudages. On revoit, pour la première fois, les stalles rénovées ; on apprécie la hauteur des voûtes nettoyées ; on redécouvre l’harmonie du double déambulatoire qui circule derrière le chœur, lui dont on distinguait seulement la noirceur avant sa restauration ; on devine enfin les détails du marbre sous une fine couche de protection. Toutes les statues ont été recouvertes d’une toile blanche, donnant au tout une étrange allure de Vendredi saint. Mais, caprice de la matière, un bout de voile a glissé, laissant apparaître le visage d’un ange tourné vers la Pietà et la croix de Marc Couturier, comme un rappel, dans le fracas du chantier, à l’essentiel.

Notre-Dame, vivante depuis toujours

« Cette croix de Marc Couturier, nous y sommes emmenés depuis l’entrée, confie Mgr Laurent Ulrich. C’est une nouveauté du XXe siècle qui se dresse derrière la Pietà du XVIIe… C’est le type même d’une transformation réussie de ces lieux. Chaque époque est capable d’apporter quelque chose à cet édifice ; c’est le signe que Notre-Dame est vivante depuis toujours. » Une méditation en écho avec le choix, voulu par l’archevêque de Paris, d’un mobilier liturgique résolument contemporain ainsi qu’une consultation pour des nouveaux vitraux : « Notre-Dame est une cathédrale du XIIIe siècle, mais elle est aussi une cathédrale beaucoup retravaillée au XVIIe, formidablement restaurée au XIXe, entretenue au XXe et fortement restaurée au XXIe siècle. Pour ces raisons, cela fait sens de proposer des vitraux qui resteront comme des signes de notre époque. »

Proposer des « signes simples, clairs, visibles, qui peuvent interroger et auxquels on peut apporter une réponse » est une préoccupation de l’archevêque de Paris : « À notre époque – et depuis le XXe siècle déjà – très portée sur le voyage, se rencontrent de plus en plus souvent des gens de religions et d’origines de pensée différentes, qui n’ont pas toutes les clés du mystère chrétien pour le comprendre ; il nous faut donc simplifier notre parole, notre témoignage et notre catéchèse pour présenter la foi de l’Église catholique. » Ainsi, la circulation des futurs visiteurs suivra un chemin spirituel et catéchétique, tandis que le placement des pièces du mobilier liturgique répond à la même exigence : le baptistère, à l’entrée de l’église-bâtiment, rappelle que le baptême est l’entrée dans l’Église-corps du Christ ; parce que Marie est la première à écouter la parole de Dieu, le futur ambon sera au même niveau que la statue de la Vierge au pilier.

Communion et prière

Marie, justement, captive tous les regards alors que la visite se poursuit dans la chapelle de N.-D. des Sept Douleurs, en cours de restauration. Dernier vestige d’une fresque du XIIIe siècle, un visage marial se dessine à travers les tubes d’acier, unissant dans un même lieu le temps médiéval et contemporain. « Il y a beaucoup de prières dans ces peintures, de ceux qui les ont faites, de ceux aussi, je le crois, qui les restaurent et qui savent que ce sont des signes de prière », partage Mgr Ulrich, ajoutant : « La communion de l’Église n’est pas simplement dans l’espace, mais aussi dans le temps. L’Église est la même et la communion est permanente depuis les débuts. Songer qu’il y a, ici, huit siècles de prières est très impressionnant ; une église porte à la prière, mais est aussi portée par la prière. »

Et de conclure, alors que la visite touche à sa fin et que les ouvriers désertent peu à peu le site : « On a besoin de se sentir élevé par un geste artistique. Contribuer à ce que, au milieu de la vie des hommes, il y ait des lieux à ce point attachés à la prière, à la relation avec Dieu et à la relation entre les hommes, est une entreprise magnifique. Et je songe à ces mille et une choses logées très haut que personne n’a jamais vues, faites par des artistes qui ont voulu dire quelque chose de leur lien à Dieu… Tout cela est très beau, et, en même temps, ce qui compte, c’est bien la rencontre de Dieu, l’écoute de sa Parole et la réponse que nous lui donnons. Dieu est plus grand que nos édifices qui, même magnifiques, restent des signes. » Signe de Dieu, signe des temps, Notre-Dame, par sa flèche de nouveau dressée vers le Ciel, offre aussi le signe, à qui veut bien le voir, de huit siècles de prières chuchotées avec ferveur sous ses voûtes.

Par Charlotte Reynaud

 Voir aussi À un an de la réouverture de Notre-Dame de Paris.

Réouverture de Notre-Dame de Paris

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