« Nous devons accepter d’être une Église qui s’appauvrit »
Paris Notre-Dame du 11 novembre 2021
L’Assemblée plénière des évêques de France qui s’est conclue lundi 8 novembre, à Lourdes (Hautes-Pyrénées), a marqué un tournant dans l’histoire de l’Église de France. Reconnaissant un système déficient favorisant une culture de l’abus, les évêques ont annoncé une série de mesures pour assainir le fonctionnement et la gouvernance de l’institution. Le regard de Mgr Philippe Marsset, évêque auxiliaire de Paris.
Paris Notre-Dame – Quel est votre sentiment alors que vous venez tout juste de quitter Lourdes ?
Mgr Philippe Marsset – J’ai conscience d’avoir participé à un travail qui est, plus que le paiement d’une dette, la sortie d’une cécité. Entre le premier et le dernier jour de l’assemblée plénière, nous sommes passés de la peur – la peur des médias, de la pression extérieure – à une libération intérieure. Deux éléments nous ont aidés à vivre ce passage. D’abord les deux jours vécus avec les personnes en situation de précarité. Celles-ci nous ont comme dévoilé ce que nous ne voulions pas voir chez les victimes d’abus. Notre dialogue était celui de muets qui parlaient à des sourds. Le témoignage de ces personnes en situation de précarité a été un miroir. Le deuxième élément qui nous a aidés était l’ensemble des textes de la liturgie de la semaine. Le Seigneur nous a clairement parlé à travers sa Parole. Je pense à la veuve du Temple qui donne tout ce qu’elle a ou encore à l’avertissement dans les textes de lundi : « Malheureux celui par qui le scandale arrive ! » (Lc 17, 1). L’Évangile, les pauvres, les victimes, nous ont placés en face du réel. Et le travail avec des laïcs [invités en fin de semaine, NDLR] nous a transformés.
P. N.-D. – Cette assemblée plénière marque- t-elle un tournant dans l’histoire de la gouvernance de l’Église ?
P. M. – C’est certain. Le cléricalisme, une certaine façon de concevoir le pouvoir dans l’Église, et la constitution hiérarchique de l’institution ecclésiale, font que nous pouvons, nous, clercs, nous penser autosuffisants. C’est ce à quoi nous avons définitivement renoncé. Il nous faut retravailler et distinguer le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction, et ce, dans tous nos lieux de décisions, dans toutes nos strates. Nous reste à transmettre la metanoïa que nous avons vécue à l’ensemble du corps sacerdotal et à tous les laïcs.
P. N.-D. – Vous avez posé, ensemble, un geste pénitentiel fort samedi 6 novembre. Comment l’avez-vous vécu ?
P. M. – Ce geste s’est fait en deux temps. Il y a eu le dévoilement de la photo du visage d’un petit garçon – un ange en réalité avec tout le symbole que cela peut représenter – en pleurs. Et ce moment où nous sommes passés « sur l’autre rive » (Lc 8, 32) du Gave pour nous mettre à genoux devant une croix de couleur rouge. Personnellement, j’ai eu besoin de garder les yeux fermés pour pouvoir vivre ce moment pleinement, de manière intérieure. Il nous fallait implorer le pardon de Dieu. Nous ne sommes qu’au tout début d’un chemin de conversion.
P. N.-D. – Le discours de clôture parle « d’une humiliation nécessaire »…
P. M. – Bien avant que l’Église ne soit humiliée, c’est l’Église qui a humilié tant de vies. Il est donc nécessaire qu’elle assume un coût, dans sa réputation, dans ses finances. Sinon nous ne serions que ces hommes riches qui mettent de grosses sommes d’argent et non la veuve de l’Évangile qui donne ses deux piécettes. Il nous faut vivre cette humiliation.
Dans le diocèse de Paris, nous allons réfléchir, collectivement, à l’application des mesures annoncées lundi (voir p. 6). Les biens, y compris immobiliers, de l’Église, appartiennent à tous les fidèles. Il nous faut donc réfléchir, ensemble, à une manière d’abonder le fonds d’indemnisation des victimes. Notre diocèse est riche en ressources, mais aussi en prêtres. Et c’est là notre faiblesse. « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » (Mt 19, 24). Nous devons accepter d’être une Église qui s’appauvrit. Cet appauvrissement est évangélique. Il est prophétique.
Propos recueillis par Isabelle Demangeat @LaZaab
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