Rapport Sauvé : « Gravité, honte et sidération »
Paris Notre-Dame du 14 octobre 2021
Mgr Thibault Verny est en charge des dossiers d’abus pour le diocèse de Paris. Il répond à nos questions suite au rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) rendu le 5 octobre.
Paris Notre-Dame – Comment avez-vous reçu le rapport de Jean-Marc Sauvé ?
Mgr Thibault Verny – Je l’ai reçu avec gravité, honte et sidération face à tant de douleurs de tant de personnes victimes.
P. N.-D. – Le rapport évoque le chiffre de 216 000 personnes vivantes ayant été agressées sexuellement pendant leur minorité par des prêtres ou des religieux. Vous vous attendiez à ces chiffres ?
T. V. – Non, je ne m’attendais pas à cette ampleur, les chiffres sont effrayants et révélateurs d’un grave problème. Certes, le phénomène est massif dans notre société (5,5 millions de victimes), mais il l’est aussi scandaleusement dans l’Église dans des proportions que nous ne soupçonnions pas. Et ce qui me bouleverse, c’est que derrière ce nombre sidérant, il y a une vie + une vie + une vie +… À chaque fois, c’est une vie personnelle qui est détruite, et avec elle, celles de son entourage : parents, frères et sœurs, conjoints, autant de victimes collatérales qui portent aussi cette souffrance et cette trahison. Le rapport Sauvé montre très précisément la déflagration d’un abus sexuel dans tous les pans de la vie : personnel, intime, professionnel et spirituel.
P. N.-D. – Le rapport de la Ciase évoque « un phénomène massif […] présentant un caractère systémique ». Qu’en pensez-vous ?
T. V. – Le rapport pointe nettement que l’institution ecclésiale n’a clairement pas su voir ces violences ni les prévenir, et encore moins les traiter avec la détermination requise. Pendant trop longtemps ce qui a primé était la volonté de protéger l’institution. En conséquence, il n’y avait pas de place pour la parole des personnes victimes. Et du coup, la culpabilité était dans le mauvais camp : « Malheureux celui par qui le scandale arrive ! » (Mt 18, 7). C’est tout un système qui a empêché la libération de la parole des personnes victimes et la prise de conscience par tous. Le rapport fait d’ailleurs dramatiquement écho à la Lettre au peuple de Dieu du pape François (20 août 2018). Aujourd’hui, après la sidération, il importe d’engager l’Église sur la voie des transformations à la lumière du rapport et de l’ampleur du drame des victimes.
P. N.-D. – Quelle est la situation dans le diocèse de Paris ?
T. V. – Toute information préoccupante est systématiquement signalée au procureur et à la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome (CDF) pour les faits sur des mineurs. En septembre 2019, l’archevêque a signé un protocole avec le procureur de la République de Paris pour faciliter l’échange d’informations. Depuis, nous avons été amenés à faire trente-deux signalements concernant des clercs, des religieux et des laïcs auprès du parquet. Ces signalements ont donné lieu à une condamnation et dix classements sans suite. Permettez-moi de préciser que le classement sans suite n’est pas un acquittement mais une décision en opportunité du procureur. Il peut être motivé principalement pour trois motifs : la prescription, l’absence d’infraction et l’insuffisance de preuves. Grâce au protocole, nous sommes avertis du motif du classement sans suite et nous pouvons mieux accompagner chaque situation. Lors d’un classement sans suite, je pense qu’il reste un grand travail à faire dans l’accompagnement des personnes victimes car cela reste très violent pour elles. La justice canonique de l’Église ne vient pas concurrencer mais compléter la justice civile. Il est à noter qu’après étude d’un dossier, la CDF peut lever la prescription.
P. N.-D. – Une des recommandations du rapport Sauvé est d’encourager l’Église à une réflexion théologique, morale et canonique afin de qualifier les abus sexuels comme manquement au 5e commandement – « Tu ne tueras point », et non plus au 6e commandement – « Tu ne commettras pas d’adultère ». Qu’en pensez-vous ?
T. V. – C’est une remarque qui veut aider à prendre la mesure de la « mort » qu’inflige un crime sexuel. Pour la justice pénale, un viol est un crime au même titre qu’un meurtre. Depuis plus de trois ans, avec une équipe, j’écoute des personnes victimes et je peux témoigner combien les violences et crimes sexuels sur mineurs sont dévastateurs. La gravité est amplifiée dans le cadre de l’Église, car à l’abus d’autorité et à l’abus sexuel, se rajoute l’abus spirituel. Qui plus est, quand la personne de confiance, censée témoigner de la Bonne Nouvelle, devient l’agresseur du plus fragile, c’est insupportable. Aussi la Ciase invite l’Église à engager un large travail sur le code du droit canonique et ses procédures. À titre personnel, je suis favorable à mettre en place un tribunal pénal canonique interdiocésain, ce qui permettrait plus de réactivité dans les procédures et les décisions à prendre, et de mutualiser les ressources.
P. N.-D. – Que réclament les personnes victimes que vous rencontrez ?
T. V. – Elles demandent que les faits soient nommés et reconnus, et que par cette reconnaissance, l’auteur ne puisse jamais recommencer. À travers leur cri de souffrance, nous entendons la nécessité qu’elles puissent se reconstruire et ce par un accompagnement personnalisé. La Ciase exhorte l’Église à travailler ce sujet important avec les victimes, à « hauteur d’homme ».
P. N.-D. – Le rapport Sauvé souligne aussi que le problème des abus sexuels n’est pas derrière nous et que ce problème subsiste aujourd’hui…
T. V. – C’est hélas vrai et c’est l’affaire de tous. Parallèlement au travail de réflexion et de réforme que doit mener l’Église, il faut que chacun, à sa mesure, s’empare de la question de la vigilance. C’est à ce titre que nous avons entre autres construit le site stopabus.dioceseparis.fr pour donner à tous les outils de prévention et d’information, et que nous allons lancer aussi une formation en ligne pour tous les acteurs auprès de la jeunesse. L’État a créé une Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), signe que c’est toute la société qui s’empare de cette réalité.
P. N.-D. – Qu’attendez-vous de ce rapport et comment appelez-vous les catholiques à accueillir ce rapport ?
T. V. – Je reprendrais le message de notre archevêque : « Je demande à tous les fidèles de s’engager sur ce chemin en lisant ensemble le rapport, en commençant par le recueil des témoignages des personnes victimes pour saisir leur souffrance qui est aussi celle du Seigneur. » Nous devons nous préparer à vivre avec détermination les transformations profondes qui s’imposeront. À cette condition, ce chemin sera aussi d’espérance.
Propos recueillis par Charlotte Reynaud
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