Homélie de Mgr Laurent Ulrich – Messe d’ordination pour la Compagnie de Jésus
Samedi 26 avril 2025 – Notre-Dame des Champs (14e)
– Voir l’album-photos de la célébration.
– Semaine Pascale
– Ac 4,13-21 ; Ps 117 ; Mc 16,9-15
Prenez, prenons, si vous le voulez bien, les deux textes que nous venons d’entendre, dans l’ordre de la chronologie, c’est-à-dire en commençant aujourd’hui par l’évangile. C’est le premier jour de la semaine, ressuscité, Jésus se montre immédiatement à Marie Madeleine qui, dans son empressement, va annoncer aux apôtres qu’elle l’a vu vivant, ressuscité : ils ne la croient pas. Puis deux compagnons - dont l’évangéliste Luc nous parle dans un long chapitre quand leur histoire est ici racontée en une demi-phrase - vont à la campagne, rencontrent aussi Jésus et s’en retournent à Jérusalem pour rencontrer les apôtres et leur dire qu’ils ont vu Jésus vivant ressuscité : ils ne les croient pas non plus. Et, enfin, Jésus apparaît directement à ses apôtres et disciples et leur reproche vivement leur manque de foi aux témoignages de Marie Madeleine et des deux compagnons. Il leur adresse pourtant un ordre de mission : « Allez, enseignez l’Évangile sur toute la terre ! » Voilà un curieux paradoxe d’un chef de file qui donne mission à des personnes à qui il vient de dire qu’elles étaient parfaitement nulles !
De la même façon, dans le premier récit, tiré du Livre des Actes des Apôtres et qui se passe quelque temps après - quelques jours, quelques semaines, quelques mois plus tard, on ne sait - voilà que ces apôtres sont bien partis en mission et qu’ils ont annoncé l’Évangile à des gens qui voient ce que l’Évangile provoque. Puisque ce texte suit le récit d’une guérison qui a lieu à la porte du temple et que l’infirme qui était là se trouve bien debout et bien vivant, les anciens, les chefs du peuple le reconnaissent et sont bien obligés de constater que celui qu’ils voyaient incapable de bouger, complètement recroquevillé sur lui-même, est à son tour bien vivant, debout et témoignant de ce que l’on a fait pour lui. Mais ils ne le croient pas, ils ne veulent pas croire que ces gens sans éducation, sans grande culture apparemment, galiléens de plus, aient réussi cet exploit. Et les voilà complètement interdits, ces chefs et ces anciens du peuple, complètement incapables d’agir. Ils voudraient bien faire taire ces hommes, disciples de Jésus, mais ils voient qu’il s’est passé quelque chose d’anormal, qu’ils n’acceptent pas, qu’ils ne croient pas vrai mais qu’ils sont obligés de constater. Et ils sont comme terrifiés, n’osant rien faire ni rien dire contre ces hommes que les autres applaudissent. L’opposition au message de l’Évangile commence, et elle aura évidemment une très longue histoire, allant même jusqu’à des persécutions, qu’il n’est pas nécessaire de raconter tant elle se poursuit jusqu’à aujourd’hui, et tant nous en avons des exemples qui nous sont présentés constamment.
Cette opposition au message se mue en une haine contre Jésus et contre ses disciples, qui les transforme en victimes, qui les transforme en témoins douloureux de ce qu’ils annoncent au monde, qui réjouit ceux qui entrent dans la compréhension de l’Évangile et dans l’amour du Christ, qui en est à l’origine. Elle réjouit certains mais elle remplit les autres de fureur et de haine. Il est bien clair que si cela remplit les autres de fureur et de haine, c’est que le message c’est le Christ lui-même ; le message c’est qu’il n’y a plus de raison d’être interdit, d’être sans réaction devant le mal, devant la souffrance, devant la blessure, devant la peine et l’incapacité d’agir, la fatalité. Il n’y a plus de fatalité devant la douleur, devant la souffrance, devant la mort, puisque le Christ qui a annoncé l’Évangile vivant, l’Évangile du Vivant, s’est montré vivant après sa mort.
Faire disparaître toute peur devant les obstacles de l’existence, faire disparaître toute peur devant les oppositions à l’Évangile et devant la haine qui se lève au cours de l’histoire contre Jésus, son message, et la foi évangélique : voilà qui nourrit notre cœur, notre désir d’agir, notre désir d’aimer.
Aujourd’hui même, en ayant accompagné le pape François, notre frère jésuite, dans son dernier passage, rappelant les différents gestes symboliques et les paroles qu’il n’a jamais cessé de dire avec un courage extraordinaire, vous avez devant vous, nous avons devant nous, un exemple magnifique de cette absence de peur, et de la joie de l’Évangile qui est capable d’habiter dans le cœur d’un homme.
C’est ce que vous avez choisi, mes frères qui êtes ici devant moi, en demandant l’ordination comme diacres et celle de prêtre pour l’un d’entre vous. Vous avez choisi la force qui vient du Christ et de son Évangile, quoiqu’il semble bien que la fragilité guette cette force en permanence. Vous avez choisi cette joie d’être avec le Christ qui donne cette espérance inestimable, jour après jour. Vous avez choisi de croire que les combats de l’homme, que vous connaissez déjà bien par votre vie présente, ne cesseront et que vous êtes invités, que nous sommes invités, dans la joie de la foi et dans la force de l’espérance, à ne jamais démissionner devant ce qui pourrait être des obstacles, ce qui pourrait être la fatalité du mal, ce qui pourrait être le refus de toute fraternité.
Vous avez choisi cela et vous désirez continuer, vous avez déjà expérimenté que cette relation avec le Christ est capable de vous remplir d’une espérance telle que les combats à venir sont des combats déjà gagnés même s’il faudra, au jour le jour, s’armer de courage, de patience, de fraternité, de joie devant ces mêmes difficultés. Et surtout, en demandant le sacrement de l’ordre, vous avez accueilli quelque chose de plus, vous avez résolu de faire une confiance absolue au Seigneur lui-même. Vous l’avez déjà constaté, je le sais, nous en avons parlé, que lorsque l’on se trouve dans le compagnonnage des hommes et des femmes que le Seigneur met sur notre route, il se passe des choses tout à fait extraordinaires, que des personnes sont relevées, que des gens en situation de désunion, de conflit, de peur, se trouvent tout d’un coup armés d’un calme, d’une patience, d’une joie, qui les ressuscitent dès maintenant. Et vous savez que ce n’est pas vous, vous-même, personnellement, qui êtes la cause de cela mais celui qui habite votre cœur et n’a cessé de vous transformer, et ne cessera de le faire.
En demandant ce sacrement de l’ordre, vous mettez votre confiance dans celui qui agit et qui choisit d’agir, à travers vous. Il ne s’agit pas d’en tirer quelque gloire personnelle : il s’agit d’en rendre grâce à Dieu et d’inviter le peuple de Dieu à rendre grâce avec vous.
Célébrant l’Eucharistie, comme prêtre, y participant dans le ministère de diacre, en étant comme prêtre chargé de réconcilier par le sacrement de pénitence et de réconciliation, en pratiquant comme ministre des autres sacrements, vous comprendrez peu à peu où est la source véritable de cette paix qui vous habite et vous habitera, où est la source véritable de la paix intérieure que vous verrez chez vos frères et vos sœurs auprès de qui le Seigneur vous envoie. Encore une fois, n’en tirez pas de gloire, mais simplement, et toujours joyeusement, une action de grâce au Seigneur.
Mgr Laurent Ulrich,
archevêque de Paris