Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Notre-Dame de la Salette

Dimanche 18 mai 2025 - Notre-Dame de la Salette (15e)

 5e Dimanche de Pâques — Année C

- Ac 14, 21b-27 ; Ps 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13ab ; Ap 21, 1-5a ; Jn 13, 31-33a.34-35

Le Livre de l’Apocalypse dit : « Voici que je fais toutes choses nouvelles ». Il s’adresse bien sûr au peuple de Dieu, par l’entremise de l’évangéliste Jean, pour dire que, depuis la résurrection de Jésus, il y a encore la vie quotidienne, la nôtre, la vie quotidienne du monde dans lequel nous sommes, mais il y a une nouveauté parfaite : la mort a été vaincue et l’espérance habite donc le cœur des croyants pour qu’ils en soient désormais des témoins, chaque jour et dans les situations y compris difficiles ou plus ou moins compréhensibles au cœur de l’homme.

Voilà ce que nous entendons, voilà ce que nous comprenons dans le message qui est égrené, de dimanche en dimanche et de semaine en semaine, après Pâques. Nous avons la grande joie de pouvoir méditer annuellement ce mystère de Pâques que nous vivons quotidiennement et que nous concélébrons chaque dimanche, mais nous avons la joie, pendant ce temps pascal, de le méditer longuement : il y a du nouveau dans l’existence humaine, c’est l’espérance que Dieu donne par la résurrection de son Fils au-delà de la mort, et cela transforme notre vie complète.

Ainsi, nous le voyons dans l’évangile lorsque Jésus dit : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » La nouveauté est là, c’est : « comme je vous ai aimés ». S’aimer mutuellement c’est difficile, nous le savons ; s’aimer les uns les autres, dans la vie quotidienne, dans la vie familiale, dans la vie sociale, dans la vie d’une société, s’accepter les uns les autres ce n’est pas facile. Mais quand cela se produit, quand nous nous aimons les uns les autres - y compris avec les gens que nous ne connaissons pas et auxquels nous sommes capables de manifester de l’amitié - alors nous voyons bien sûr que la vie est plus belle.

Mais vous avez vu et entendu, à l’instant, dans l’évangile, que c’est Jésus qui s’adresse à ses disciples. Et il leur dit : « Aimez-vous les uns les autres. » Nous sommes au chapitre 13 de saint Jean et, quatre chapitres plus loin, au chapitre 17, Jésus va prier pour l’unité des disciples, de ses disciples. Dans la vie de l’Église, c’est un souci constant depuis les débuts, depuis cette prière de Jésus pour l’unité des chrétiens. Il ne s’agit pas simplement de se contenter d’une semaine de prière annuelle pour l’unité des chrétiens. Il s’agit bien que nous nous acceptions les uns les autres en dehors de notre cercle, un cercle paroissial qui peut être très beau et très fraternel mais qui a besoin de s’élargir aux autres paroisses d’un diocèse, au-delà du diocèse, à l’Église universelle. Qui a aussi besoin de s’élargir aux chrétiens qui ne sont pas membres de l’Église catholique, qui sont au-delà de notre cercle de l’Église catholique : apprendre à connaître qui ils sont et comment ils voient l’existence chrétienne. Les différentes sortes de chrétiens protestants, de chrétiens orthodoxes, sont l’Église du Christ avec nous et nous sommes invités à les connaître mieux, de temps en temps même à prier avec eux, à accueillir leur façon de vivre, leur façon d’être. Et je suis particulièrement sensible, cette fois-ci non pas dans le cadre de l’œcuménisme mais de l’Église catholique, aux chrétiens orientaux qui sont présents dans notre Église. Il y a des chrétiens catholiques qui vivent l’Église catholique sous l’autorité du Pape mais avec des rites différents. Je les visite régulièrement puisque c’est dans ma charge aussi d’être l’évêque des orientaux catholiques en France et je les visite, ici en France. Dans une dizaine de jours, j’irai à la rencontre de ces chrétiens catholiques, Chaldéens, Syriaques, Byzantins et autres catholiques orientaux qui sont à Lyon. Être attentif à des manifestations de la vie chrétienne dans notre Église catholique et dans les autres Églises, apprendre à connaître les différences et les spécificités, garder des relations avec eux, c’est toujours très important. Voilà pour « Aimez-vous les uns les autres. »

Puis, avec l’apôtre Paul, et Barnabé son compagnon de mission, dans les Actes des Apôtres, le passage que nous venons de lire nous oriente sur autre chose. À la fin de cette première lecture, les voilà de retour à un point de départ de leur premier voyage apostolique, en Asie Mineure, Antioche de Syrie. Les voilà revenus et ils racontent à l’Église, dont ils sont partis quelques mois avant, « tout ce que Dieu avait fait avec eux, dit le Livre des Actes, et comment il avait ouvert aux Nations la porte de la foi. » Cela veut dire, de façon extrêmement importante, que Paul et Barnabé s’aperçoivent que la Bonne Nouvelle de la résurrection de Jésus ne concerne pas seulement les Juifs, mais aussi ce que l’on appelle les Nations, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas de la tradition juive mais qui peuplent le monde : des nations dans le monde, des peuples du monde, qui accueillent aussi cette parole. Et ils en sont tout émerveillés : Dieu ouvre les portes de la foi à d’autres que nous. Bien sûr, cela nous concerne aujourd’hui aussi, et nous sommes invités à être émerveillés de ce que Dieu fait quand il convoque des hommes et des femmes, notamment des adultes, au baptême à l’âge adulte, à la confirmation à l’âge adulte, et vous savez qu’ils sont de plus en plus nombreux. Mais je pense aussi à ce que nous pouvons vivre, et dire, et faire comprendre dans le monde d’aujourd’hui par notre foi exposée, notre foi annoncée : sortir de nous-mêmes et être capables d’aller sur le terrain de la vie des autres pour dire notre espérance. Paul et Barnabé n’ont pas le sentiment que les peuples auxquels ils se sont adressés soient tous devenus immédiatement croyants, ils ne disent pas que tout le monde, dans ces nations, est devenu disciple de Jésus, mais ils disent : « Dans ces peuples et dans ces nations, par la parole que nous avons eue, Dieu s’est fait de nouveaux disciples. »

Aussi, je crois que nous pouvons méditer un instant sur le pontificat de François qui vient de s’achever et sur celui de Léon XIV qui commence de la même façon sur ce point : prendre la parole, donner le témoignage de notre foi, dire ce que nous croyons dans des situations douloureuses où manque peut-être l’espérance, c’est notre devoir. Tout le monde ne deviendra pas chrétien, mais notre parole sera un appel. Je prends des exemples de ce qui se passe en ce moment : quand nous demandons, nous chrétiens - le Pape, et successivement les deux, l’un après l’autre le font - qu’il y ait la fin de la guerre à Gaza, quand nous demandons qu’il y ait une paix juste entre l’Ukraine et la Russie, nous témoignons de cette espérance. Nous savons bien que nous ne sommes pas complétement écoutés, mais nous disons : « La paix, c’est vraiment ce que Dieu veut. Pas à n’importe quel prix, il faut que la paix s’établisse sur des conditions justes pour tous les belligérants, non pas simplement pour ceux qui sont vainqueurs sur le terrain mais aussi pour ceux qui semblent être vaincus. » C’est une parole d’espérance, elle ne convainc peut-être pas tout le monde ; elle ne convainc pas forcément l’opinion générale ; elle ne convainc pas forcément les gouvernants, mais nous ne pouvons pas ne pas la dire.

Dans la société d’aujourd’hui, la nôtre, avec ses débats sur la fin de vie, nous comprenons bien sûr que la loi va peut-être là où nous ne voudrions pas. Mais le combat n’est pas perdu d’avance, et surtout si nous disons que nous croyons que ce qui est fraternel c’est accompagner la vie jusqu’au bout, jusqu’à la mort naturelle et d’être là pour tenir la main pour l’accompagnement fraternel. Quand nous disons cela, nous comprenons bien que tout le monde ne nous écoute pas, que tout le monde ne nous comprend pas, mais nous témoignons de l’espérance que Dieu met dans nos cœurs et nous savons que des hommes et des femmes qui ne partagent pas notre foi sont capables de comprendre cela et de le vouloir aussi bien que nous, et peut-être d’être un jour ouverts à la foi.

Ne croyons pas que ce que nous disons est simplement réservé à nous, entre nous. Ne croyons pas que, dans les combats difficiles de la vie, le combat soit perdu d’avance, le combat de l’espérance. Jésus nous entraîne à être des témoins vivants et à dire ce que nous croyons grâce à lui, avec lui, et alors il fait son œuvre et est capable de transformer les cœurs et de les ouvrir aussi à l’espérance et à la foi.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

Homélies