Ibant gaudentes…

Les « reliques » des prêtres et religieux otages et martyrs de la Commune de Paris.

Le 3 janvier 2019, le chanoine Jérôme Bascoul, alors curé de la paroisse Notre-Dame-des-Otages, mit en dépôt à la Commission d’art sacré du diocèse de Paris plusieurs objets ayant appartenu aux prêtres et religieux fusillés pendant la « semaine sanglante » entre le 24 et le 26 mai 1871. Particulièrement émouvants pour l’historien, ces modestes objets n’entrent pas dans la définition d’une relique au sens théologique du terme, ils ne peuvent pas être objet de vénération, ni même de dévotion, ils sont le souvenir sacré, la mémoire d’événements dramatiques survenus dans la vie d’hommes d’Eglise, de « martyrs » qui, certes, n’ont pas été spécifiquement appelés à renier leur appartenance à Jésus-Christ comme les premiers chrétiens, mais qui, tels saint Jean-Baptiste, sont bien morts in odium fidei dans un contexte politique dramatique.

Cette démarche d’un prêtre parisien nous avait donné l’occasion de rappeler brièvement quelques éléments de l’histoire individuelle de ces hommes de Dieu dénommés les « otages », qu’ils aient été archevêque, curé ou vicaire de paroisse, jésuites ou dominicains, pères du Sacré Cœur, religieux de Saint Vincent de Paul, séminariste ou archiprêtre de Notre-Dame ! Dans la cathédrale, dans l’église de La Madeleine, à la chapelle Saint-Ignace des Jésuites rue de Sèvres, au grand séminaire d’Issy-les Moulineaux, au cimetière de Cachan ou à celui de Picpus, à Notre-Dame des Otages, à Notre-Dame-de-la-Salette, des tombes, des plaques, des statues, des inscriptions nous rappellent leur souvenir.

Aujourd’hui, en ce cent cinquantième anniversaire des journées tragiques de mai 1871, tandis que les procès en béatification de la plupart de ces ecclésiastiques sont en cours, que les enquêtes et les travaux historiques se poursuivent à Rome et à Paris, nous avons souhaité raviver cette mémoire et prier avec ceux qui sont "partis joyeux […], parce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir des outrages pour le nom de Jésus" (Actes 5, 41).

« Paris a perdu la dernière fibre de sens moral et religieux, sa population est insensée, en délire. Pouvons-nous espérer le retour des miséricordes divines, quand cette immense cité ne songe qu’à fonder une société basée sur l’absence de la religion et sur la haine de Dieu ? Il faut encore un miracle pour nous aider à sortir de l’immense abîme où nous sommes plongés. Je me tais, j’ai le cœur trop gros et l’âme trop sombre »
Père Léon Ducoudray, lettre du 20 février 1871 [1]

Les arrestations

Depuis le soulèvement du 18 mars 1871 et l’exécution sommaire des généraux Lecomte et Clément-Thomas par les insurgés, le gouvernement d’Adolphe Thiers a déserté Paris pour Versailles, et les communards tiennent la capitale.

Le 2 avril 1871, la Commune proclame la séparation de l’Église et de l’État.

Le 3 avril, jour du lundi saint, un autre décret de la Commune impose la confiscation des meubles et immeubles appartenant aux congrégations.

Le 4 avril, l’archevêque de Paris, Mgr Georges Darboy, le Père Gaspard Deguerry, curé de La Madeleine, Mgr Auguste-Alexis Surat, archidiacre de Notre-Dame et l’abbé Jean-Michel Allard, aumônier des ambulances, ainsi que Louis-Bernard Bonjean, président de la Cour d’appel de Paris, sont arrêtés et conduits au Dépôt de la Préfecture de police dans l’île de la Cité.

Dans la nuit du 4 avril, l’école jésuite parisienne Sainte-Geneviève (rue des Postes actuelle rue Lhomond) est cernée par un bataillon de gardes nationaux armés jusqu’aux dents, et son directeur, le Père Léon Ducoudray, est fait prisonnier. A la fin de la nuit, huit pères jésuites, quatre frères et sept domestiques de l’école sont brutalement conduits à la Préfecture de police, le recteur Ducoudray en tête du cortège ! A l’arrivée au Dépôt, le Père Ducoudray est séparé du groupe et enfermé au secret dans une cellule de la Conciergerie, il sera rejoint quelques jours plus tard par le Père Alexis Clerc.

Le même soir du 4 avril, le supérieur de la maison professe rue de Sèvres, le Père Pierre Olivaint, et le Père Jean Caubert sont arrêtés, et conduits à leur tour au Dépôt puis à la Conciergerie.

Le 5 avril, le Conseil de la Commune adopte le décret des otages, afin de faire répliquer aux exactions commises par l’armée versaillaise : « Toutes personnes prévenues de complicité avec le gouvernement de Versailles […] seront les otages du peuple de Paris  ». Il est précisé en outre dans l’article 5 : « Toute exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera, sur-le-champ, suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus […] et qui seront désignés par le sort.  » Ce décret suscite l’indignation dans le camp versaillais, de même que chez Victor Hugo dans son poème Pas de représailles. Dans les rangs communards mêmes, cette mesure est souvent désapprouvée, ainsi par Prosper-Olivier Lissagaray, l’un des premiers historiens de la Commune, qui l’évoque comme une « razzia de soutanes ». Quelques jours plus tard, la Commune propose l’échange de Mgr Darboy contre le vieux révolutionnaire Auguste Blanqui prisonnier en Bretagne. Les négociateurs versaillais manifestent peu d’empressement à répondre aux propositions des autorités parisiennes. La Commune réitère son offre à plusieurs reprises. Le 14 mai 1871, elle proposera même de libérer les 74 otages qu’elle retenait à Paris contre la libération du seul Blanqui. Thiers refuse la proposition. Son secrétaire Barthélemy Saint-Hilaire ajoute : « Les otages ? Les otages, tant pis pour eux ! »

Au soir du jeudi saint 6 avril, les pères jésuites Anatole de Bengy, Léon Ducoudray et Alexis Clerc, Mgr Darboy, l’abbé Deguerry et le président Bonjean sont transférés à la prison cellulaire Mazas. [2] Le même soir, le Père Mathieu Henri Planchat, religieux de Saint-Vincent de Paul, est brutalement arrêté dans son patronage Sainte-Anne de Charonne, et emmené à Mazas.

Les Pères jésuites Olivaint et Caubert restèrent au secret à la Conciergerie avant d’être à leur tour emmenés à Mazas le jeudi 13 avril.

Le 12 avril, mercredi de Pâques, à quatre heures du soir, la maison générale de la Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie (Pères picpuciens) rue de Picpus, est envahie par les insurgés de la Commune, qui avaient d’abord perpétré des exactions au couvent des religieuses voisin. A onze heures du soir, 84 Soeurs et 13 Frères sont arrêtés, parmi eux, les quatre conseillers du supérieur général : les Pères Ladislas Radigue, Polycarpe Tuffier, Marcellin Rouchouze et Frézal Tardieu. Ils sont alors emmenés en voiture, deux à deux, accompagnés d’un garde national, jusqu’à la Conciergerie, où ils arrivent à minuit et vont passer cinq jours.

Le lundi soir 17 avril, les quatre Pères Radigue, Tuffier, Rouchouze et Tardieu sont transférés à Mazas.

« Mourir à 74 ans, il n’y a pas grand mérite ; car à cet âge, on a déjà un pied dans la tombe. Je voudrais avoir 25 ans pour faire un sacrifice en offrant ma vie. » Mr. le curé Deguerry à Mazas, 1871.

« Pour les aliments et le linge, je ne manque de rien et la charité de quelque bonne âme y pourvoit ». Lettre du Père Clerc à son frère, Mazas, 22 avril 1871.

«  Ne prends pas la peine de venir ainsi tous les jours savoir de mes nouvelles, puisqu’on ne te permet pas de me voir. C’est une trop longue course pour toi. Une fois par semaine cela serait bien suffisant. Du reste, ma santé se soutient assez bien et je n’ai besoin de rien en ce moment. Prière et confiance. » Lettre du Père Caubert à sa sœur Mme Lauras, Mazas, 22 avril 1871 [3]

« D’une prison l’autre » : de Mazas à la Roquette.

La Commune n’applique d’abord pas son décret sur les otages ; ce n’est qu’avec la « semaine sanglante » [4]que Théophile Ferré signera finalement l’ordre d’exécution de six otages, dont Mgr Darboy. Les Communards, retranchés dans la mairie du XI° arrondissement, réclamaient que tous les otages, une soixantaine, soient passés par les armes. « A tout prix, elle veut des prêtres, ces hommes qui gênent le monde depuis dix-huit cents ans… [5]

« Le lundi 22 mai, ordre est donné de procéder sur l’heure et sur place, à l’exécution de tous les otages renfermés à Mazas […] Cependant, il y eut un dernier répit : le directeur, par un sentiment d’humanité ou par un calcul de prudence, osa représenter à l’impérieuse Commune qu’une exécution dans une maison de simple prévention serait un fait contraire à tous les précédents et à toutes les formes. En conséquence, il fut ordonné de surseoir et de transférer tous les prévenus de Mazas
à la prison des condamnés à mort, à la Roquette. » [6]

Les journées tragiques

Commune de Paris. Séance du mercredi 17 mai 1871 – (Journal officiel, 18 mai)

Le citoyen AMOUROUX. Agissons donc ! Et pour chacun de nos frères assassinés, répondons par une triple exécution. Nous avons des otages, et parmi eux des prêtres, frappons ceux-là de préférence, car ils [les Versaillais] y tiennent plus qu’aux soldats.

Le citoyen VAILLANT. Je prie les membres de l’assemblée qui s’occupent des municipalités de vouloir bien m’écouter. La Commune m’a donné une délégation dans laquelle je me trouve souvent en conflit avec certaines municipalités, tandis qu’avec d’autres, tout va pour le mieux.
L’enseignement ne fonctionne pas comme il devrait fonctionner. Pour aujourd’hui, je vous parlerai des jésuites. Ils interviennent partout et sous toutes les formes. Des municipalités très ardentes en ont fini en deux jours ; dans d’autres, on n’a pas pu les chasser : il serait urgent que deux mois après la Révolution du 18 mars, on ne vit plus de ces gens-là. Il serait bon que les municipalités mettent un peu plus de zèle…
Le citoyen REGERE. Précisez !
Le citoyen VAILLANT. … et les fassent disparaître en quarante-huit heures d’une façon absolue. Voici donc ce que je propose :
« Sur la proposition de la délégation à l’enseignement, la Commune décide : Vu les nombreux avertissements donnés aux municipalités d’arrondissement de substituer partout à l’enseignement religieux l’enseignement laïque, Il sera dressé dans les quarante-huit heures un état des écoles tenues encore par les congréganistes. Cet état sera publié chaque jour dans l’Officiel avec le nom des membres de la Commune délégués à la municipalité de l’arrondissement où les ordres de la Commune au sujet de l’établissement de l’enseignement exclusivement laïque n’auront pas été exécutés. »
(La proposition du citoyen Vaillant, mise aux voix, est adoptée.)
…….
Le citoyen MORTIER. J’ai une interpellation très importante à adresser. Un commissaire de police est venu dans notre arrondissement faire évacuer et fermer l’église ; cette opération a été faite de telle façon qu’elle a causé une espèce d’émeute dans le quartier. Pourquoi ne pas nous prévenir ?
Le citoyen COURNET. La sûreté générale, en présence de faits très graves qui se passent sur plusieurs points, a dû prendre des mesures exceptionnelles et les faire exécuter sans le moindre retard. Elle croit avoir rempli son devoir (Oui !) [7]

La soirée du 24 mai 1871, prison de la Grande Roquette

« Le détachement pénètre dans ce corridor du premier, quatrième division, où se trouvent nos chers captifs, le parcourt dans toute sa longueur et va se ranger à l’extrémité opposée, en haut de ce petit escalier tournant qui conduit au chemin de ronde. Alors un personnage faisant office de héraut […] la liste fatale à la main, proclame aussitôt, avec la même qualification pour tous, et suivant l’ordre numérique des cellules, les six condamnés de la Commune. A mesure qu’un nom a été prononcé, une porte s’ouvre et une victime se livre. […] Il fut décidé qu’on passerait dans le second chemin de ronde, où l’on serait à l’abri de deux hautes murailles. On se met en mouvement ; un brigadier ouvre la marche, derrière lui s’avancent ceux qui vont mourir, ainsi groupés : Mgr l’archevêque de Paris donne le bras à M. Bonjean ; le P. Ducoudray et le P. Clerc accompagnent et soutiennent de chaque côté le vénérable curé de La Madeleine, chargé de ses quatre-vingts ans, vient enfin l’abbé Allard ; puis à l’entour et derrière, les hommes et les enfants armés, dans une espèce de désordre. » [8] Les six corps furent déposés sur une charrette à bras et vers trois heures du matin, jetés pêle-mêle dans une fosse commune creusée à l’angle sud-est du cimetière du Père-Lachaise, où se poursuivirent toute la nuit les combats entre les Fédérés et les Versaillais.

La journée du 25 mai : « l’affaire » des Dominicains d’Arcueil avenue d’Italie (XIIIe arr.)

Le 15 avril 1871, Serizier, délégué de la Commune à la mairie du XIIIe arrondissement et chef des bataillons d’Issy, Châtillon et Hautes Bruyères, installe l’état-major du 101e bataillon dans le château du marquis de Laplace à Arcueil. Ce bâtiment est proche du collège dominicain Albert le Grand, fondé en 1863 par le Père Louis-Raphaël Captier. Depuis le siège de Paris, ce collège abrite une ambulance destinée à recueillir les combattants blessés, et est donc une zone relativement neutre protégée par une « croix de Genève ». Les Pères s’opposent régulièrement à Sérizier, anticlérical forcené, et refusent l’installation d’une pièce d’artillerie dans leur jardin. Des fouilles et des réquisitions de matelas sont parfois menées dans le collège.

Accusés d’avoir mis le feu au toit du quartier général pour émettre un signal en direction des Versaillais, les pères dominicains Eugène Captier, Constant Delhorme, Henri Cotrault, Pie-Marie Chatagneret et Thomas Bourard sont accusés de trahison par les Fédérés et arrêtés le 19 mai, ainsi que huit employés du collège (Louis-Antoine Gauquelin professeur, François-Hermand Volant et Théodore Catala surveillants, Aimé Gros, Marie-Joseph Cheminal et Antoine Marce domestiques, François Dintroz infirmier, Germain Petit commis à l’économat). [9]

Après avoir envoyé les sœurs et les femmes de ménage du collège à la Conciergerie (d’où elles gagnèrent la prison Saint-Lazare et seront libérées le lendemain), les Fédérés conduisent le groupe de 26 personnes au fort de Bicêtre où les prisonniers sont enfermés dans les casemates.

La « semaine sanglante » débute le 20 mai. Le jeudi 25 mai, les communards de Bicêtre se replient vers Paris, entraînant une partie de leurs prisonniers vers le 13e arrondissement. Conduits tout d’abord à la mairie place d’Italie, les otages sont sur le point d’être transférés à la prison du secteur, 38 avenue d’Italie, mais pris entre deux lignes de combattants, ils sont tués par balle, en pleine rue, vers 16 h. [10]

Les cadavres demeurent abandonnés à même la chaussée, à la hauteur du 88 avenue d’Italie. Le lendemain matin, l’abbé Guillemette, vicaire de la paroisse Saint-Marcel de la Maison Blanche, les transporte jusque dans la cour de l’école communale des Frères des écoles chrétiennes rue du Moulin-des-Prés dont il est aussi l’aumônier. C’est là que les découvrira le jeune Paulin Enfert, futur fondateur du patronage Saint-Joseph de la Maison Blanche, dans le 13° arrondissement, dont le procès en béatification a été ouvert par l’archevêque de Paris en novembre 2018. [11]

La journée du 26 mai, de la Roquette à la rue Haxo

15 h : le colonel Emile Gois, chargé de la justice militaire et militant blanquiste, avec une soixantaine de Fédérés, se rend à la prison de la Roquette où se trouvent regroupés plus de deux cents otages, et de sa propre initiative, somme le directeur de la prison de lui livrer cinquante détenus : « Aux quinze victimes recueillies dans le corridor du premier étage de la quatrième division, on en ajouta de nouvelles prélevées sur les autres sections de la Roquette, et on en obtint ainsi une cinquantaine, chiffre exigé par la Commune. » Ce seront trente-trois gardes de Paris, deux gendarmes, quatre « mouchards » et dix ecclésiastiques choisis au hasard : les Pères jésuites Jean Caubert, Pierre Olivaint et Anatole de Bengy, le Père Henri Planchat, religieux de saint Vincent de Paul, les pères picpuciens Ladislas Radigue, Polycarpe Tuffier, Marcellin Rouchouze et Frézal Tardieu, l’abbé Sabatier, vicaire de Notre-Dame de Lorette [12] et Paul Seigneret, séminariste de Saint Sulpice.

16 h30 : encadrés par les Gardes nationaux du 173e bataillon, les quarante-neuf otages franchissent à pied les trois kilomètres qui séparent la prison de la Cité Vincennes, poste de commandement du 2° secteur de défense depuis le siège de Paris, rue Haxo, qu’ils atteignent à 17h30.

« Le Père Caubert dont le courage était plus grand que les forces, s’appuyait sur le bras du Père Olivaint son supérieur, son frère et son ami. Insoucieux du bruit de la foule, ils priaient et conversaient doucement comme s’ils avaient été seuls, et sans doute, ils parlaient encore de la famille qu’ils laissaient et de celle qu’ils allaient trouver au ciel. Bien près d’eux marchait le Père de Bengy, la tête haute toujours et le cœur au large. Vendredi 26 mai 1871- +Belleville ». [13]

18 h : les gardes entassent les otages au fond d’une salle de bal champêtre en construction sur un terrain vague de la Cité Vincennes. Cédant à la foule qui hurle à la mort, et malgré les réticences de leurs chefs, ils commencent à tirer à bout portant et en un quart d’heure exterminent les quarante- neuf prisonniers.

Les sépultures

« Frères bien-aimés, nous avons pleuré sur vous tant que vous n’aviez pas fini de combattre ; nous ne pleurons plus depuis que vous avez commencé à triompher ; et sur ce sépulcre étrange, et pourtant glorieux, où vous avez reposé trois jours, nous déposerons une palme en souvenir autant qu’en espérance. » [14]

Au cimetière du Père-Lachaise, les corps des six victimes de la Roquette, étaient « rangés en travers, trois à trois, pied contre pied, et à moitié superposés les uns aux autres, pour ménager la place dans la fosse commune : d’un côté Mgr l’archevêque, le P. Ducoudray et le P. Clerc ; de l’autre, vis-à-vis, M.Bonjean, M. Deguerry et M. Allard. Les vêtements, souillés d’une boue sanglante, avaient été lacérés ; les corps, quoique très maltraités, restaient encore parfaitement reconnaissables. On les mit aussitôt dans des cercueils provisoires : M. Bonjean et M. Allard furent laissés dans la chapelle même du cimetière ; et sous une escorte d’honneur et de sureté, Mgr l’archevêque et M. Deguerry furent transportés à l’archevêché rue de Grenelle, et les PP. Ducoudray et Clerc à notre maison de la rue de Sèvres. » [15]

A Belleville, les recherches des corps furent plus longues, ce n’est qu’au bout de trois heures que purent être extraits de la fosse commune les corps des cinquante victimes « si défigurés par le supplice qu’à peine conservent-ils une forme humaine, et ce n’est qu’à l’aide des vêtements ou de quelque autre signe accessoire qu’on peut constater l’identité des personnes. C’est ainsi seulement qu’on put reconnaitre les PP. Olivaint, Caubert et de Bengy, et le lundi 29 mai, entre neuf heures et dix heures du soir, trois nouveaux cercueils furent amenés à la rue de Sèvres : les deux autres les y attendaient dans la chapelle dédiée aux Saints Martyrs. » [16]

Le soir du lundi de Pentecôte, 29 mai, les Religieux de Saint Vincent de Paul, M. Lantiez et Maurice Maignen, qui étaient venus chercher à Belleville et retrouver le cadavre du Père Planchat, ramenèrent dans la même voiture le corps de Paul Seigneret au séminaire Saint Sulpice, avant de rejoindre leur chapelle Notre-Dame de La Salette où repose le premier prêtre de leur Congrégation.
Aujourd’hui, au séminaire d’Issy-les- Moulineaux, une plaque est apposée avec le nom des otages, et la cellule numéro 23 de la prison de la Grande Roquette reconstituée en souvenir de Mgr Darboy et de Paul Seigneret.

FUNÉRAILLES DES OTAGES


EXTRAIT DES JOURNAUX


Aujourd’hui 7 juin Paris a entendu le canon. C’était pour annoncer les funérailles de l’archevêque. Le corps, quittant le palais archiépiscopal, est porté triomphalement à Notre-Dame ; ce corps frappé il y a quelques jours contre le mur intérieur d’une prison, et enfoui avec d’autres à l’angle d’une rue ! Derrière lui marche la France, représentée officiellement par l’Assemblée nationale ; devant lui s’avance la croix, proscrite à vrai dire depuis neuf mois ; car le gouvernement régulier l’avait laissé chasser des écoles, avant que le gouvernement insurgé la fit tomber du fronton des églises et l’arrachât même des autels.
La croix revendique et reprend ses droits par le martyre. Il y a une voix du sang et du témoignage qui l’appelle impérieusement. Il faut céder, Dieu le veut. Les barricades s’abaissent, la passion du sauvage s’impose le frein, la passion plus rebelle et plus sourde du lettré s’impose le silence, la croix passe.
‘Vous ferez demain comme il vous plaira, vous comprendrez ou vous ne comprendrez pas, vous changerez de voie ou vous continuerez dans votre voie mauvaise : mais voici un martyr, et vous laisserez passer la croix !
Il y a deux grandes palmes sur ce cercueil, deux palmes immortelles. La palme de l’obéissance est unie à celle du martyre. Avant de mourir avec cette sérénité qui accepte et qui pardonne, l’archevêque avait fait un acte de foi et d’humilité plus précieux même que sa mort. Entre la captivité du siège et la captivité de la prison, il s’est soumis à un décret de l’Eglise qu’il avait combattu. C’est la gloire de sa vie, sa couronne plus resplendissante que la couronne de sang, le triomphe de son âme sacerdotale. C’est par là qu’il a sauvé son Église, et qu’il obtiendra de Dieu pour son peuple un autre pasteur qui le gardera dans la foi.
Que la mémoire de Georges Darboy, archevêque de Paris, témoin de Pierre, vicaire du Christ, et témoin du Christ, fils unique de Dieu, soit bénie à jamais !...

(L’Univers.)

Les Dominicains d’Arcueil

Les corps du Père Captier et des autres professeurs furent transférés et inhumés sous une rotonde au coin sud-ouest du parc du collège à Arcueil, le 3 juillet 1871. Lors de la vente du terrain à la Caisse des Dépôts et Consignations, d’anciens élèves rachetèrent la parcelle où se trouvaient les tombes qui forment alors un petit enclos séparé. Les sépultures seront déplacées en 1938 au cimetière de Cachan pour permettre l’élargissement de la rue Berthollet.
Le caveau collectif des Dominicains du collège Albert le Grand à Cachan renferme les corps du du Père Eugène CAPTIER (1829-1871) et celui du Père Didon (1840-1900) grand promoteur du sport moderne et du renouveau des Jeux olympiques avec Pierre de Coubertin.

Pérégrinations picpuciennes.

Les corps des quatre Pères picpuciens Ladislas Radigue, Marcellin Rouchouze, Frézal Tardieu et Polycarpe Tuffier, extraits de la fosse commune à Belleville, furent dans un premier temps inhumés dans le petit cimetière du couvent de la Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie à Issy-les-Moulineaux. Le 6 septembre 1872, on procéda à l’ouverture des cercueils qui furent ramenés dans la chapelle des Pères rue de Picpus. En 1905, les corps furent à nouveau discrètement enterrés dans la chapelle du noviciat à Issy-les-Moulineaux (aujourd’hui maison de retraite rue Jean Jaurès). Après avoir reposé pendant plusieurs années dans les sous-sols de l’église Saint Gabriel, en 1999, les quatre cercueils ont définitivement rejoint dans le carré de la Congrégation du cimetière de Picpus ceux des fondateurs. [17] Leurs pierres tombales sont conservées dans la petite chapelle en rotonde du couvent de la congrégation à Picpus.

Souvenirs jésuites

Dès 1872, la Compagnie de Jésus fonda Cité de Vincennes « l’Oeuvre expiatoire du massacre des otages ». Plusieurs chapelles provisoires se succédèrent jusqu’à la construction en 1938 de la chapelle Notre-Dame-Des-Otages qui fut inaugurée rue Haxo sous le nom de « Sacré Cœur de Jésus ». Cette chapelle devint paroisse Notre-Dame-des-Otages en 1961. Elle fut consacrée en 2009 par Mgr Eric de Moulins-Beaufort alors évêque auxiliaire de Paris.
Dans l’église Saint-Ignace, rue de Sèvres à Paris, cinq plaques funéraires dans la chapelle dédiée au souvenir des martyrs de la Compagnie de Jésus rappellent le souvenir des pères jésuites otages fusillés, Anatole de Bengy, Alexis Clerc, Jean Caubert, Pierre Olivaint, Léon Ducoudray.

« Par une autre faveur de l’administration, notre maison de la rue de Sèvres s’enrichit d’un nouveau trésor. Les prisonniers de Mazas n’avaient-ils pas en quelque sorte sanctifiés tous les objets qui avaient été à leur usage pendant leur captivité ?
Dans tous les cas, c’étaient de précieuses reliques dont la possession nous tenait à cœur. Nos vœux furent encore une fois exaucés, et les hamacs, les tables, les tabourets, les bidons, dont s’étaient servis nos frères, sont devenus notre propriété
. » [18]

La commission d’art sacré du diocèse de Paris a également reçu en dépôt la médaille, l’image du Sacré-Cœur, et le fragment de flanelle du manteau de saint Ignace que le Père Olivaint portait sur lui au moment de son arrestation le 4 avril 1871.

A l’église de La Madeleine, l’abbé Gaspard Deguerry.  [19]

Le journal paroissial « La Madeleine » daté de janvier-février 1936 rapporte que les cellules des prisons Mazas et la Grande Roquette où l’abbé Deguerry fut détenu avant d’être fusillé ont été transportées avec leur mobilier à la Madeleine, comme en témoigne la carte postale ci-jointe. Conservé dans la sacristie de l’église, un petit coffre à deux portes renferme de pieux souvenirs du curé Deguerry, un mouchoir, quelques cheveux, ainsi qu’un fragment de lettre manuscrite datée de Mazas, le 14 avril.

Eléments de biographies

Liste officielle
des otages assassinés avec Mgr l’archevêque de Paris

Mgr Darboy, archevêque de Paris. — Mgr. Surat, protonotaire apostolique, vicaire général de Paris. — L’abbé Deguerry, curé de la Madeleine. — L’abbé Bécourt, curé de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. — L’abbé Sabatier, deuxième vicaire de Notre-Dame-de-Lorette. — L’abbé Allard, prêtre libre, aumônier d’ambulance. — L’abbé Planchat, aumônier du patronage de Sainte-Anne, à Charonne. — Le R. P. Houillon, prêtre de la Congrégation des Missions étrangères. — M. Seigneret, séminariste de Saint-Sulpice. — Les RR. PP. Ducoudray, Olivaint, Clerc, Caubert, de Bengy, de la Compagnie de Jésus. — Les RR. PP. Radigue, Tuffier, Rouchouze, Tardieu, de la Congrégation des S.-C. de Jésus et de Marie. (Maison de Picpus.) — Les RR. PP. Captier, Bourard, Cotrault, Delhorme, prêtres, Chatagneret, sous-diacre, dominicains de l’école libre Albert-le-Grand, à Arcueil.
MM. Bonjean, président à la Cour de cassation. — Chaudey, publiciste. — Jecker, banquier. — Gauquelin, Volant, Petit, maîtres auxiliaires à l’école libre Albert-le-Grand (à Arcueil). — Aimé Gros, Marce, Cathala, Dintroz, Cheminal, serviteurs de l’école libre Albert-le-Grand (à Arcueil).
MM. Genty, maréchal des logis de gendarmerie. — Bermont, Poirot, Pons, brigadiers de gendarmerie. — Bellamy, Chapuis, Doublet, Ducrot, Bodin, Pauly, Walter, gendarmes. — Keller, Weiss, gardes de Paris.

Il faut ajouter à ces noms :
MM. Derest, ancien officier de paix. — Largillière, sergent-fourrier. — Moreau, garde national. — Belanuy, Biancherdini, Biolland, Burtolei, Breton, Cousin, Coudeville, Colombani, Dupré, Fischer, Garodet, Geanty, Jourès, Marchetti, Mangenot, Margueritte, Maunoni, Mouillie, Marty, Millotte, Paul, Pourtau, Salder, Vallette, gardes de Paris.

(Journal officiel.)

Abbé Michel Allard (Andrezé, Maine-et-Loire, 12 novembre 1816- Paris, 24 mai 1871) – Après un passage chez les Jésuites, puis chez les Dominicains, l’abbé Allard est nommé vicaire à Châteauneuf-sur-Sarthe, puis il part comme maître d’école à Jérusalem. En 1859, il est envoyé en mission à Tiflis en Russie, il est emmené en captivité à Saint-Pétersbourg, puis renvoyé en France très malade. A Paris, il importune l’archevêque Mgr Darboy, devient novice chez les Dominicains, est interné à Bicêtre puis à l’asile d’aliénés de Sainte-Gemmes-sur-Loire. En 1867, il revient comme aumônier des ambulances à l’hôpital Necker et devient l’ami des gardes nationaux dans leurs retranchements pendant la guerre de 1870. Arrêté et enfermé à la Roquette, il y est fusillé le soir du 24 mai 1871. D’abord enterré au Père- Lachaise, puis au cimetière du Montparnasse, le 13 janvier 1872, il fut finalement enseveli dans son village natal, et transféré en 1900 dans le cimetière actuel d’Andrezé.

Abbé Emile-Victor Bécourt (1814-Paris, 27 mai 1871) – Né en Charente, l’abbé Bécourt fut vicaire à Saint-Philippe du Roule, puis curé de Dugny (actuel diocèse de Seine-Saint-Denis), avant d’être le 12 mars 1870 nommé curé de la paroisse de Bonne-Nouvelle (Paris,75002). En 1878, le curé de Dugny E. Rolland publia les « Fleurs sacerdotales déposées sur la tombe de l’abbé Bécourt, ancien curé de Dugny, Curé de Notre-Dame de Bonne- Nouvelle à Paris, Mis à mort pour la foi le 27 mai 1871, à Paris. Vendu au profit du Monument de M. l’abbé Bécourt ». L’abbé Bécourt avait été arrêté en avril 1871, emprisonné à la Roquette, il fut fusillé dans la rue au sortir de la prison le 27 mai 1871. Son corps ramené à Bonne-Nouvelle fut ensuite inhumé dans l’église de Dugny, mais son cénotaphe fut détruit lors du bombardement allié du 15 septembre 1943 sur la région parisienne.

Anatole de Bengy, sj. (Bourges, 19 septembre 1824- Paris, 26 mai 1871) -Elève du collège de Brugelette en Belgique, reçu dans la Compagnie à Rome, il commença son noviciat au Quirinal et le termina à Issenheim en Alsace. Il prononça ses premiers vœux à Brugelette le 13 novembre 1847, et y demeura comme professeur ou surveillant. Il prononça ses derniers vœux à Vannes le 2 février 1858. Il avait été aumônier pendant l’expédition de Crimée en 1856, et le fut à nouveau au service des ambulances volantes durant le siège de Paris en 1870.

Eugène Captier op. (Tarare, Rhône, octobre 1829- Paris, 25 mai 1871) – Né en 1829 dans une famille de juristes à Tarare (Rhône), le jeune Eugène-François Captier fit ses études au collège Saint-Thomas d’Aquin d’Oullins près de Lyon. Désireux de se consacrer à l’éducation des jeunes, il entra en 1852 à Flavigny (Côte d’Or) dans le Tiers-Ordre enseignant dominicain fondé par le Père Lacordaire. Après avoir été le prieur de l’école d’Oullins, il fut chargé de fonder un collège à Arcueil en Val-de-Marne, dans l’ancienne propriété du chimiste Claude Berthollet, mort en 1822. C’est là qu’il fut arrêté avec quatre autres religieux et neuf employés du collège le 19 mai 1871, pour être fusillé six jours plus tard. Il avait 42 ans.

Jean Caubert sj. (Paris, 20 juillet 1811- Paris, 26 mai 1871) - Après des études secondaires au collège Louis-le-Grand, il exerça pendant sept ans la profession d’avocat au barreau de Paris. Admis chez les Jésuites le 10 juillet 1845, il prononça ses premiers vœux à Brugelette le 31 juillet 1847 et consacra quatre années à l’étude de la philosophie et de la théologie. Il travailla ensuite au grand séminaire de Blois, à l’école Sainte-Geneviève et à la maison de la rue de Sèvres après 1851. Il prononça ses derniers vœux le 15 août 1855.

Alexis Clerc sj. (Paris, 11 décembre 1819-Paris, 24 mai 1871) - Elève du collège Henri IV, puis de Polytechnique, il servit pendant 13 ans dans la marine et entra dans la Compagnie le 28 août 1854. Après ses premiers vœux, il fut employé comme professeur à l’école Sainte-Geneviève. Pendant le siège de Paris, il fut responsable de l’ambulance au collège de Vaugirard, et fit ses vœux de profès le 19 mars 1871.

Mgr Georges Darboy (Fayl-Billot, 16 janvier 1813- Paris, 24 mai 1871) – Né en Haute-Saône près de Langres, de parents épiciers, il fut ordonné prêtre en 1836. Quelques temps vicaire à Saint-Dizier, et professeur au grand séminaire de Langres, il fut nommé à Paris en 1845 à la maison des Carmes et aumônier du lycée Henri IV. Chanoine de Notre-Dame, vicaire général à Saint-Denis, il fut nommé protonotaire apostolique puis évêque de Nancy. De 1859 à 1863, il s’intéressa spécialement aux questions d’éducation, créa l’école Saint-Léopold, agrandit le séminaire. Transféré par un décret impérial du 10 janvier 1863, il devint archevêque de Paris en 1863. La même année, il consacra la cathédrale Notre-Dame restaurée, et fut honoré des titres et fonctions de Grand Aumônier de l’Empereur, sénateur et conseiller impérial. Au concile Vatican I de 1869/1870, il s’opposa à la définition de l’infaillibilité pontificale, avec des motivations plus politiques que théologiques, mais il se rétracta par la suite. Pendant le siège de Paris, il se conduisit comme un vrai pasteur. Il fut arrêté le 4 avril 1871, et malgré tous les efforts de ses amis pour le sauver, il fut exécuté le 24 mai à la prison de la Roquette.

Gaspard Deguerry (Lyon, 27 décembre 1797-Paris, 24 mai 1871) – Ordonné pour le diocèse de Lyon le 19 mars 1820, aumônier militaire, nommé au diocèse de Paris archiprêtre de Notre-Dame en 1844 par l’archevêque Mgr Denys Affre, il devient curé de Saint-Eustache où il administre les derniers sacrements à Chateaubriand le 4 juillet 1848. Célèbre pour ses homélies, de 1849 à sa mort, il est curé de La Madeleine, où, dans la chapelle basse, une imposante statue due au sculpteur Alexandre Oliva (1823-1890) le représente à genoux.

Léon Ducoudray sj. (Laval, 6 mai 1827-Paris, 24 mai 1871) - Après des études au petit séminaire de Paris, alors dirigé par Mgr Dupanloup, il fut admis dans la Compagnie de Jésus le 2 octobre 1852, et fit son noviciat à Angers jusqu’en 1854. Après avoir étudié la philosophie à Laval, la théologie à Lyon, il fut nommé recteur de l’école Sainte-Geneviève le 25 août 1866, et c’est à titre qu’il fut pris comme otage le 4 avril. Il avait prononcé ses derniers vœux de profès le 2 février 1870.

Jean-Baptiste Houillon MEP, (Dommartin-lès-Remiremont, Vosges, 3 décembre 1825- Paris, 27 mai 1871) – Ordonné prêtre en 1852, il fut un certain temps vicaire en Lorraine, avant d’intégrer le séminaire des Missions étrangères le 22 novembre 1860. Il partit pour la Chine le 31 mars 1862, fit naufrage à Macao, puis tomba malade, ce qui l’obligea à revenir en France en 1869. Le 4 avril 1871, il fut arrêté dans la rue par des Fédérés, emmené au dépôt de la Préfecture, incarcéré à Mazas, puis transféré à la Roquette le 22 mai. Le 27 mai, des prisonniers survivants parvinrent à s’enfuir de la prison, mais plusieurs dont le Père Houillon furent arrêtés boulevard Richard – Lenoir et massacrés par des communards. Son corps fut d’abord ramené à la Roquette où l’armée régulière était entrée, mais il était tellement défiguré qu’on ne le reconnut pas. Il fut donc d’abord enterré au cimetière Montmartre, comme prêtre inconnu. Identifié grâce à ses chaussettes, il fut finalement inhumé le 2 janvier 1872 dans le caveau du séminaire des MEP au cimetière Montparnasse.

Pierre Olivaint sj. (Paris, 22 février 1816-Paris, 24 mai 1871) – Après des études au collège Charlemagne et à l’Ecole Normale, il dirigea l’éducation du fils du duc de la Rochefoucauld-Liancourt. Reçu dans la Compagnie de Jésus en 1845, il prononça ses voeux le 3 mai 1847, et étudia la théologie à Laval jusqu’en 1852. Il fut ordonné prêtre à Laval en 1850. Attaché à Paris au collège de Vaugirard, il y fut professeur, directeur et prédicateur des élèves, préfet des études et enfin recteur en 1857 après avoir prononcé ses vœux de profès. En 1865, il devint supérieur de la maison jésuite rue de Sèvres. Educateur à l’influence profonde sur les collégiens, il ouvrait ses élèves au contact des pauvres. Dès 1865, il rassembla des jeunes dans une « Société des jeunes gens » où ils recevaient une formation spirituelle et sociale. Les étudiants concernés par la littérature et les problèmes socio-politiques se réunirent dans la « Conférence Olivaint » (qui existe toujours mais sans la présence des jésuites), et les étudiants en médecine à la « Conférence Laënnec », toujours vivante aujourd’hui et influente dans le milieu médical. [20]

Père Henri Planchat, rsvp (La Roche-sur-Yon, 8 novembre 1823-Paris, 26 mai 1871) - Né dans une famille de magistrats, Henri Planchat fait connaissance pendant ses études de la Conférence de Saint Vincent de Paul et y découvre sa vocation. Ordonné le 21 décembre 1850, il est accueilli comme premier prêtre au sein de la toute jeune Congrégation des religieux de Saint Vincent de Paul créée par Clément Miyonnet, Maurice Maignen et Jean-Léon Le Prévost. Ce « chasseur d’âmes » se dévoue au profit des populations pauvres de Vaugirard et Grenelle, et à partir de 1863, il dirige le patronage Sainte-Anne dans le quartier de Charonne. C’est là qu’il sera arrêté par les révoltés de la Commune le 6 avril 1871, avant d’être conduit à la prison Mazas. Il sera fusillé rue Haxo le 26 mai suivant. Ses restes reposent depuis lors dans la chapelle des reliques de l’église Notre-Dame de la Salette dans le XV° arrondissement de Paris.

Armand de Ponlevoy sj. (1812-1874) – Supérieur de la communauté des pères jésuites rue de Sèvres, il avait célébré la première messe dans la nouvelle église Saint-Ignace inaugurée à 4h du matin le 1° janvier 1858. Pressé par le Père Olivaint, il quitte Paris le 20 mars 1871 et s’établit dans la maison jésuite de Versailles. Dès la fin des jours tragiques, il recueillit « avec un soin pieux » les témoignages et les souvenirs des derniers moments des membres de la Compagnie de Jésus. Les « Actes de la captivité et de la mort des RR.PP. Olivaint, L.Ducoudray, J.Caubert, A.Clerc, A. de Bengy, de la Compagnie de Jésus » ne bénéficièrent de pas moins de 17 éditions entre 1871 et 1907.

P. Ladislas Radigue ss.cc (Saint Patrice du Désert, Orne, 8 mai 1823- Paris, 26 mai 1871) – Deuxième des six enfants d’un couple d’agriculteurs normands, Armand Radigue fit ses études au collège de la Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie (pères picpuciens) à Séez et finit par entrer lui-même dans cet ordre en 1843, au noviciat des Picpuciens à Issy-les-Moulineaux. Il est ordonné prêtre le 22 avril 1848, devient formateur au noviciat, maître des novices, puis en 1870 il devient prieur de la Maison-Mère à Paris. Resté rue de Picpus avec quelques responsables de la communauté, il fut arrêté le 12 avril 1871. A Mazas, puis à la Roquette, il put confesser un certain nombre des autres otages. Il fut fusillé le 26 mai rue Haxo. Il est enterré dans le carré des Picpuciens au cimetière de Picpus dans le 12 ° arrondissement de Paris.

P. Marcellin Rouchouze ss.cc. (Saint-Julien-en Jarrets, Loire, 14 décembre 1810- Paris, 26 mai 1871) – Entré dans la Congrégation en 1834, il fut professeur de philosophie, préfet des études, enseignant en Belgique, supérieur du collège de Graves près de Villefranche-de-Rouergue. Animé d’une profonde humilité, il ne fut ordonné prêtre qu’en 1852. Il fut finalement appelé par son frère le Père Euthyme Rouchouze à venir à Paris comme secrétaire général de la Congrégation. Arrêté le 12 avril 1871, il fut fusillé le 26 mai rue Haxo. Il est enterré dans le carré des Picpuciens au cimetière de Picpus dans le 12 ° arrondissement de Paris.

Abbé Jean-Marie-Noël Sabatier (1820- Paris, 26 mai 1871) – Vicaire à Notre-Dame-de-Lorette (9e arr.), il fut arrêté dans cette église le 7 avril 1871. Emprisonné à la Roquette, il fut appelé au hasard du numéro des cellules, et fusillé avec les 48 autres otages rue Haxo. Sa famille ayant pu récupérer son corps au cimetière de Belleville, il est inhumé dans une tombe familiale.

Paul Seigneret (Angers, 23 décembre 1845- Paris, 26 mai 1871) – A l’âge de 15 ans, il quitte Angers pour faire ses études à Nancy, et sent naître sa vocation sacerdotale. En raison de sa mauvaise santé, il pense d’abord qu’il valait mieux pour lui être moine, et il entre à l’abbaye de Solesmes où il passe une année. En juin 1868, il entre au séminaire d’Issy-les-Moulineaux, mais doit encore interrompre ses cours pendant une année pour se reposer. Après la guerre de 1870, le séminaire rouvre ses portes le 15 mars 1871, et la retraite de rentrée n’est pas achevée lorsque débute la Commune. Paul Seigneret et quelques camarades se rendent à la Préfecture pour obtenir un laissez-passer ! A la suite de l’incarcération de l’archevêque de paris Mgr Darboy, un certain nombre de séminaristes de Saint-Sulpice dont Paul Seigneret sont arrêtés le jeudi saint 6 avril. Paul sera fusillé le 26 mai 1871 rue Haxo, son corps fut ramené au séminaire Saint Sulpice. Au séminaire d’Issy-les- Moulineaux, une plaque est apposée avec le nom des otages, et une cellule de la prison de la Grande Roquette reconstituée en souvenir de Mgr Darboy et de Paul Seigneret.

Mgr Auguste-Alexis Surat (Paris, 27 février 1804-Paris, 27 mai 1871) - Vicaire général du diocèse de Paris à la basilique Saint-Denis, archiprêtre de Notre-Dame, Mgr Surat fut arrêté à l’archevêché le 5 avril 1871, et conduit au dépôt de la Préfecture de police en même temps que l’archevêque Mgr Darboy. Il fut ensuite également défferré à la prison Mazas, puis à la Roquette, d’où il put sortir le 27 mai. Mais reconnu par des fédérés, il fut fusillé dans la rue de la Roquette. Il fut enterré dans l’église Saint-Pierre de Charenton (dans l’actuel diocèse de Créteil.

P. Frézal Tardieu ss.cc. (Chasseradès, Lozère, 18 novembre 1814- Paris, 26 mai 1871) – Reçu novice à Paris en 1837, il fit ses vœux en 1839, fut ordonné prêtre en 1840. Professeur, directeur du noviciat de Vaugirard, de celui de Louvain, et de celui d’Issy-les-Moulineaux, il développa en Belgique et à Paris l’œuvre de la Sainte Enfance et l’œuvre des Enfants pauvres. Arrêté le 12 avril 1871, il fut fusillé le 26 mai rue Haxo. Il est enterré dans le carré des Picpuciens au cimetière de Picpus dans le 12 ° arrondissement de Paris.

P. Jules Polycarpe Tuffier ss.cc (Le Malzieu en Lozère, 14 mars 1807- Paris, 26 mai 1871) – Orphelin de père dès sa naissance, il fut mis au collège des Pères picpuciens à Mende. Arrivé à Paris, il fit ses vœux sous le nom de Polycarpe le 14 mai 1823. Aumônier des religieuses de la Congrégation, supérieur de collège, procureur de la maison principale, le Père Tuffier fut arrêté le 12 avril 1871, et fusillé rue Haxo le 26 mai. Il est également enterré dans le carré des Picpuciens au cimetière de Picpus dans le 12 ° arrondissement de Paris.

Sources et éléments de bibliographie

  • Ambroise ACHARD sj., Pierre-Marie HOOG sj., François BOEDEC sj., L’église Saint-Ignace, Médiasèvres, s.d.
  • Philippe BLANC, Le Père Captier, éducateur de la jeunesse, disciple de Lacordaire, Mémoire dominicaine, 3, 1993
  • Jacques-Olivier BOUDON, Mgr Darboy, archevêque de Paris entre Pie IX et Napoléon III, Ed. du Cerf, 2011
  • Charles CHAUVIN, Mgr Darboy, archevêque de Paris, otage de la Commune (1813-1871), Desclée de Brouwer, 2011
  • Abbé Vincent DAVIN, Le Père Captier et ses compagnons, 1896
  • Victor DUGAST, s.v., Le Père Planchat apôtre des faubourgs, Editions Guy Victor, 1962
  • Marc-André FABRE, Les martyrs d’Arcueil (25 mai 1871), Les Editions du Cerf, 1938
  • Bernard GILIBERT sj., Promenades dans le Paris ignatien, Médiasèvres, 2012
  • Maurice MAIGNEN, rsvp, Le prêtre du peuple, ou la vie d’Henri Planchat, 1877
  • Mgr Adolphe PERRAUD, Oraison funèbre du T.R.P. Captier, fondateur et prieur de l’école Albert-le-Grand, et des douze autres martyrs d’Arcueil massacrés à la Barrière d’Italie en haine de la religion, le 25 Mai 1871
  • Mgr Darboy, fusillé en 1871 mais pas martyr pour autant : une leçon en 2011 ?
  • Armand de PONLEVOY, Actes de la captivité et de la mort des RR.PP. Olivaint, L.Ducoudray, J.Caubert, A.Clerc, A. de Bengy, de la Compagnie de Jésus, par le Père Armand de Ponlevoy S.J., Paris, 1872, Collection St Michel, BNF, 8°L57b1747,1.
  • Alain RUSTENHOLZ, Paris ouvrier, des sublimes aux camarades, Parigramme, 2003,
  • Bernard TIMBAL DUCLAUX DE MARTIN, Paulin Enfert, le jongleur de Dieu, Editions du Cerf, Paris, 2013.
  • https://www.histoire-image.org/fr/etudes/otages-commune-paris
  • arcueilhistoire.fr, Le collège Albert Le Grand, C.S. 04/04/2008

Catherine Prade
CDAS, mai 2021

[1Citée dans Armand de Ponlevoy, Actes de la captivité et de la mort des R.R.P.P. Olivaint, L.Ducoudray, J. Caubert, A. Clerc, A. de Bengy s.j., par le Père Armand de Ponlevoy, s.j. Paris, 1872

[2La prison Mazas, ou Maison d’arrêt et de correction cellulaire pour les hommes, fut construite en 1850 sur un terrain délimité par le boulevard Mazas (actuel boulevard Diderot), la rue Traversière, la rue de Lyon et la rue Beccaria dans le 12 ° arrondissement

[3Lors de la démolition de la prison en 1898, de nombreux éléments du mobilier carcéral, portes, lits, vaisselle et autres objets purent être récupérés par les pères jésuites ou l’archevêché de Paris. Une porte de cellule est conservée dans les locaux du service des archives historiques du diocèse

[4Le 21 mai, les troupes gouvernementales d’Adolphe Thiers font leur entrée dans Paris au milieu des barricades. Commence alors « la semaine sanglante » du 21 au 28 mai, marquée par les incendies allumés par les Communards, le massacre de sept cents de ces Communards au Panthéon le 24 mai, suivi en représailles le 26 mai de celui des quarante-neuf otages de la rue Haxo, puis l’exécution de deux cents Fédérés au cimetière du Père Lachaise.

[5Armand de Ponlevoy, op. cit.

[6Armand de Ponlevoy, op. cit. Également appelée la « Maison de dépôt pour les condamnés », la Grande Roquette s’étendait sur un terrain entre les rues de la Roquette, de la Folie-Regnault, Gerbier et de La Vacquerie (11° arrondissement). Elle sera démolie en 1898.

[7Les Séances officielles de la Commune de Paris, Revue de France, Paris, 1871

[8Armand de Ponlevoy, op.cit.

[10Alain Rustenholz, Paris ouvrier, des sublimes aux camarades, Parigramme, 2003, p. 243-244 : « La justice des Versaillais en rendra responsable Serizier, chef du 101° bataillon, ouvrier corroyeur, qui protestera toujours de son innocence… Maxime Vuillaume, dans ses Cahiers rouges, fait porter ses soupçons sur Emile Moreau, chef d’Etat major de Wroblewski, qui ayant réussi à gagner la Suisse malgré une balle qui lui avait traversé le ventre sur la Butte-aux-Cailles, s’y vantait d’avoir fait fusiller les dominicains d’Arcueil ; et davantage encore sur « la foule », ayant agi sans ordre. »

[11Bernard Timbal Duclaux de Martin, Paulin Enfert, le jongleur de Dieu, Ed. du Cerf, Paris, 2013. « [Le serviteur de Dieu] Paulin Enfert pénètre donc dans la cour de l’établissement et se retrouve face aux corps du Père Captier et des quatre religieux déposés quelques heures auparavant par l’abbé Guillemette. Après les mois de guerre qu’il a vécus, ce n’est sans doute pas la première fois qu’il fait face à des cadavres, mais une chose est de voir des soldats tombés les armes à la main ; une autre est de contempler les corps de ces hommes d’Eglise assassinés ».

[12Une porte de sa cellule est déposée à l’église Notre-Dame de Lorette 18 bis rue de Châteaudun, Paris 9° arr.

[13Armand de Ponlevoy, op.cit.

[14Armand de Ponlevoy, op. cit. p.158.

[15Armand de Ponlevoy, op. cit. p.161

[16Armand de Ponlevoy, op. cit. p.163

[17Sur le Père Marie-Joseph Coudrin et la Mère Henriette Aymer de la Chevalerie (1767-1834), voir Bernard COURONNE, Petite vie du Père Marie-Joseph Coudrin (1768-1837). Fondateur de la Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie, Desclée de Brouwer, 1997.

[18Armand de Ponlevoy, Actes de la captivité et de la mort des RR.PP. P.Olivaint, L.Ducoudray, J.Caubert, A.Clerc, A. de Bengy, De la Compagnie de Jésus, par Armand de Ponlevoy, de la Même Compagnie, Cinquième édition, Paris, 1872, p. 139.

[19Je remercie particulièrement le Père Bruno Horaist, curé de La Madeleine, pour les renseignements et les photographies qu’il m’a communiqués, et pour sa relecture de mon texte.

[20Bernard Gilibert sj. , Promenades dans le Paris ignatien, Médiasèvres, 2012

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