Introduction de Mgr Jérôme Beau - Cycle Droit, Liberté, Foi 2009
Cycle "Droit, bonheur ?" - 7 octobre 2009
Première soirée : Le bonheur et le droit, quelle problématique ? Avec Madame Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit et le Père Michel Gueguen, Supérieur du Séminaire de Paris, sous la présidence de Monseigneur Jérôme Beau, Évêque auxiliaire de Paris.
Le bonheur et le droit, quelle problématique ?
Objet de bien des revendications, la question du bonheur est une aspiration profonde de l’homme. De la même manière qu’elle traverse l’histoire biblique, la présence du bonheur traverse la prière. Le premier mot du premier Psaume est d’ailleurs « Heureux », de même que le premier mot de la prédication de Jésus à la foule dans l’Évangile de Saint Matthieu (Mt 5, 3).
Mais une société peut-elle satisfaire ce désir profond de l’homme ? Dans quelle mesure ce bonheur, qui appartient au ressort du chemin individuel, peut-il être aussi du ressort d’un pays ou de l’interaction entre des peuples ? Ne pouvant ignorer ce qui fait l’homme dans sa profondeur et dans son essence, comment le droit va-t-il pouvoir s’inscrire à l’intérieur même de ce désir qu’il ne peut ignorer ?
Bien que personne ne puisse rendre son proche heureux malgré lui, il importe aux États de préserver l’homme du malheur. En cela, le Décalogue dans la Bible définit par les dix commandements un chemin au-delà duquel l’homme entraîne l’homme au malheur : « Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu honoreras ton père et ta mère… ». Il s’agit de délimiter ce qui, au-delà, va entraîner l’homme dans le malheur. Mais ce Décalogue, cette loi, ce droit, s’inscrit-il d’abord dans les rapports interpersonnels de l’homme ? S’inscrit-il à l’intérieur d’une société ? Ou bien doit-il aussi s’inscrire dans les rapports des États entre eux ? « Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas », ne peut-il pas s’appliquer aussi à la question de la régulation des matières premières ? Comme un chemin qui marque la limite au-delà de laquelle l’homme entraîne son frère dans le malheur, le Décalogue ne peut-il pas s’appliquer à la question de l’eau et de la faim ? Le droit n’a-t-il pas à intervenir pour s’opposer, au nom même de ce Décalogue, à ce que des hommes meurent de soif ou de faim ? Ne faut-il pas réfléchir à ce droit opposable à la question de l’eau et de la faim dont parle Benoît XVI dans son encyclique, Caritas in veritate ?
Ne peut-on pas voir dans la manière dont l’homme traite son environnement la façon dont il se traite lui-même ? La question du développement durable, ne doit-elle pas être prise avec une ampleur encore plus grande que la manière dont elle est prise dans notre société aujourd’hui ? Le droit international n’a-t-il pas à intervenir dans ce domaine avec plus de force, en liant cette question du développement et de l’environnement, à la question de l’homme et de la façon dont il se traite lui-même ?
La question du bonheur est proprement liée à la recherche en l’homme d’un cœur comblé. Mais ce cœur comblé, se réalisera-t-il dans un « pour soi » ou dans une relation « pour l’autre » ? Ces deux chemins par lesquels l’homme peut choisir d’être comblé, sont deux chemins qui s’opposent et qui peuvent entraîner l’homme à s’accomplir dans le don, ou à se déchirer par la possession. « Tu ne voleras pas, tu ne prendras pas le bien d’autrui… » Ne revient-il pas au Décalogue de réguler ce bonheur individuel devant la question du bien commun, du bien commun de toutes les nations ?
Le droit ne dit pas où se situe le bonheur mais il peut dire où il n’est pas. La loi, cependant, est toujours porteuse d’une conception particulière de l’homme. Comment alors la réflexion sur une loi, ou le vote d’une nouvelle loi, est-elle simplement une réponse à une crise immédiate, à un moment médiatique ? Comment, dans la définition du droit, au nom même de cette question du bonheur, la question anthropologique est-elle prise en compte ? La loi définit, pour une part, en effet, la question du bien ou du mal au regard d’une société. Si elle le définit ainsi, elle ne peut donc pas dire le bien ou le mal au regard de l’homme dans son développement intégral. Ce dernier souhaite pouvoir se développer dans l’intégralité de ce qu’il est, c’est-à-dire en étant lié à la question du bonheur, à la question de l’amour. Il est un être fait pour aimer et être aimé, et là se trouve son essentiel, là se trouve le moteur qui peut lui faire réaliser les choses les plus grandes, comme les pires. Ainsi donc, où situer le droit ? Comment justifier l’intervention du droit dans cet élan d’amour ?
Voici les questions que nous allons pouvoir aborder ce soir avec
Madame Marie-Anne Frsion-Roche et le Père Michel Gueguen.
Marie-Anne Frison-Roche, vous êtes professeur de droit économique à l’Institut d’Études Politiques de Paris depuis 2002, après avoir enseigné à l’Université d’Angers et à Paris-Dauphine. Vous avez fondé en France la doctrine du droit de la régulation économique. L’enjeu de cette doctrine est de mettre du droit où les rapports de force libérés par la mondialisation sont sans limite. Le droit correspondant vise donc à construire et à maintenir l’équilibre entre les principes de concurrence et d’autres principes dans des secteurs tels que la banque, l’assurance, la finance, les médicaments, les télécommunications, l’énergie ou les transports. A ce titre, vous participez à la mise en place nationale et internationale des régulations économiques sectorielles performantes avec la considération intégrée des services publics et des biens communs globaux. Votre présence ici ce soir s’explique également par votre travail sur la philosophie du droit qui vous permet de donner à Sciences-Po des cours sur les grandes questions du droit et sur les grands enjeux de la justice.
Votre exposé sera suivi par celui du Père Michel Gueguen. Père Michel Gueguen, vous êtes prêtre depuis quinze ans, actuellement Supérieur du Séminaire diocésain de Paris où sont formés soixante-dix candidats au sacerdoce. Vous êtes depuis 1996 professeur d’Écriture Sainte à l’École Cathédrale de Paris et à sa Faculté Notre-Dame maintenant située dans le Collège des Bernardins. Vous êtes donc ici chez vous. Vous donnez cette année un cours sur le livre du Deutéronome et sur le cycle d’initiation à l’Écriture Sainte.